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le caucase

le prince rentrait dans son aoul, et le lieutenant-colonel Coignard dans sa forteresse.

Ce fut vers le soir seulement que nous aperçûmes Tchiriourth.

En même temps que nous apercevions Tchiriourth, nous voyions distinctement au haut d’une montagne, à une demi-verste ou à trois quarts de verste de nous, une sentinelle des Tchetchens.

Elle était placée là comme un vautour est placé sur un arbre, pour tomber sur la proie, si la proie est attaquable.

Mais avec nos cinquante hommes d’escorte nous étions difficiles à digérer.

Notre Tchetchen, qui remplissait à la fois près de ses compatriotes les fonctions de sentinelle et de télégraphe, se mit à marcher à quatre pattes, ce qui voulait probablement dire que nous avions de la cavalerie, et leva cinq fois les deux bras en l’air, ce qui pouvait se traduire ainsi : — cette cavalerie, se compose de cinquante hommes.

Nous lui laissâmes faire ses signes et pressâmes notre hiemchick, qui, à son tour, pressa ses chevaux.

Il était sept heures du soir quand nous entrâmes à Tchiriourth.

CHAPITRE XII.

Tatars et Mongols.

Nous nous rappelons avoir commis dans le chapitre précédent une grande imprudence.

Nous avons dit, en parlant des Tatars et des Mongols, — nous aurions dû dire des Mongals, on verra pourquoi tout à l’heure, — nous avons dit des Tatars et des Mongols, en signalant la différence qu’il y a entre les types des deux races, que peut-être venaient-elles d’une même source, mais qu’à coup sûr la race tatare s’était modifiée par son contact avec les races caucasiennes, si toutefois les Tatars du Caucase n’étaient pas des Turcomans et non des Mongols.

Puis nous avons ajouté avec une insouciance, nous dirons presque avec un mépris qui sentait son romancier d’une lieue :

— Je laisse la chose à décider aux savants.

Principe général : — il ne faut rien laisser décider aux savants, attendu qu’ils ne décident rien.

Si Œdipe avait laissé l’énigme du sphinx à deviner aux savants de la Béotie, le sphinx dévorerait encore aujourd’hui les voyageurs sur la route de Daulis à Thèbes.

Si Alexandre avait laissé le nœud gordien à dénouer aux sages de la Grèce, le nœud gordien lierait encore aujourd’hui le timon au joug du char du Gordium, et il n’eût point fait la conquête de l’Asie.

Disons donc ce que nous savons sur les Tatars et les Mongols [1].

Ce sont les Chinois qui, au huitième siècle, parlent les premiers des Tatars comme des enfants qui bégayent encore et prononcent mal les noms, ils les appellent des Tata.

Pour eux, ces Tata sont une branche de la grande famille mongole.

Meng-Koung, — vous ne connaissez pas Meng-Koung, n’est-ce pas, cher lecteur ? soyez tranquille, je ne vous en veux pas pour cela ; je ne le connaîtrais pas plus que vous si je n’avais pas été forcé de faire connaissance avec lui, — Meng-Koung est, comme Xénophon et comme César, un général historien. Il est mort en 1246, et commandait un corps chinois envoyé au secours des Mongols contre les Kins.

Selon lui, une partie de la horde tatare, autrefois soumise par les Khitans, peuple qui habitait au nord des provinces chinoises de Tschy-li et de Ching-Ching, provinces fertiles jusqu’au miracle, arrosées qu’elles étaient par le Liaho et ses affluents ; selon lui, une partie de cette horde, disons-nous, quitta la chaîne des montagnes In-chan, laquelle s’étend de la courbure septentrionale du fleuve Jaune jusqu’aux sources des rivières qui se jettent dans la partie occidentale du golfe de Péking, où elle s’était réfugiée pour rejoindre ses compatriotes, les Tatars blancs, les Tatars sauvages et les Tatars noirs.

Ceci n’est pas très-clair, n’est-ce pas ? mais la faute en est à qui ? La faute en est à Meng-Koung, historien et général chinois.

Voyons Jean Duplan de Carpin, frère mineur de Saint-François et archevêque d’Aulevois. Cela tombe bien ; il est envoyé dans le Khampsack, auprès du kan des Tatars, par Innocent IV, pour le prier de cesser ses persécutions contre les chrétiens, l’an 1246, c’est-à-dire l’année même où meurt Meng-Koung.

Voici ce qu’il dit des Mongols, ou plutôt des Mongals.

« Il y a une certaine terre dans cet partie de l’Orient qui est appelée Mongal. Cette terre est habitée par quatre peuples : l’un, Yeka-Mongal, ce qui veut dire les grands Mongals ; le deuxième, Su-Mongal, ce qui veut dire les Mongals aquatiques, qui eux-mêmes s’appellent Tatars, du nom d’un fleuve qui traverse leur territoire. »

Vous voyez, le jour commence à se faire.

« Le troisième, continue-t-il, s’appelle Merkit ; le quatrième Mecrit. Ces peuples, ajoute-t-il encore, présentent un type uniforme et parlent une seule langue, quoiqu’ils soient divisés en différentes provinces et gouvernés par différents princes. »

Maintenant, attendez : Duplan de Carpin arrive dans le Khampsack quatre-vingts ans après la mort de Gengis-Kan. Il va nous dire ce qu’il sait de ce grand remueur de peuples.

« Sur la terre des grands Mongols naquit un certain homme que l’on nomma Chingis [2]. Il commença par être un robuste chasseur devant Dieu. Il apprit aux hommes à emporter et à enlever du butin. Il allait sur les autres terres, et tout ce qu’il pouvait prendre il le prenait, ne vendant jamais ce qu’il avait pris. Ce fut ainsi qu’il s’attacha les hommes de sa nation, qui le suivaient volontiers à toute mauvaise action. Il commença bientôt à combattre contre les Su-Mongols, c’est-à-dire contre les Tatars, et comme plusieurs d’entre eux s’étaient joints à lui, il tua leur chef, et finit par subjuguer et mettre dans sa servi-

  1. Voir pour plus amples renseignements l’excellent ouvrage sur les steppes de notre compatriote Hommaire, de Hall.
  2. Né en 1164.