Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE

dit que je ne sais pas lire ? Eh bien, tu vas voir.

Lorin avait calomnié Simon ; il savait lire l’imprimé dans tous les caractères, et l’écriture quand elle était d’une certaine grosseur. Mais le billet était minuté si fin, que Simon fut obligé de recourir à ses lunettes. Il posa en conséquence le billet sur la lucarne et se mit à faire l’inventaire de ses poches ; mais comme il était au milieu de ce travail, le citoyen Agricola ouvrit la porte de l’antichambre qui était juste en face de la petite fenêtre, et un courant d’air s’établit qui enleva le papier léger comme une plume ; de sorte que, quand Simon, après une exploration d’un instant, eut découvert ses lunettes, et, après les avoir mises sur son nez, se retourna, il chercha inutilement le papier ; le papier avait disparu.

Simon poussa un rugissement.

— Il y avait un papier, s’écria-t-il ; il y avait un papier ; mais gare à toi, citoyen municipal, car il faudra bien qu’il se retrouve.

Et il descendit rapidement, laissant Maurice abasourdi.

Dix minutes après, trois membres de la Commune entraient dans le donjon. La reine était encore sur la terrasse, et l’ordre avait été donné de la laisser dans la plus parfaite ignorance de ce qui venait de se passer. Les membres de la Commune se firent conduire près d’elle. Le premier objet qui frappa leurs yeux fut l’œillet rouge qu’elle tenait encore à la main. Ils se regardèrent surpris, et, s’approchant d’elle :

— Donnez-nous cette fleur, dit le président de la députation.

La reine, qui ne s’attendait pas à cette irruption, tressaillit et hésita.

— Rendez cette fleur, madame, s’écria Maurice avec une sorte de terreur, je vous en prie.

La reine tendit l’œillet demandé. Le président le prit et se retira, suivi de ses collègues, dans une salle voisine pour faire la perquisition et dresser le procès-verbal. On ouvrit la fleur, elle était vide.

Maurice respira.

— Un moment, un moment, dit l’un des membres, le cœur de l’œillet a été enlevé. L’alvéole est vide, c’est vrai ; mais dans cette alvéole un billet bien certainement a été renfermé.

— Je suis prêt, dit Maurice, à fournir toutes les explications nécessaires ; mais, avant tout, je demande à être arrêté.

— Nous prenons acte de ta proposition, dit le président, mais nous n’y faisons pas droit. Tu es connu pour un bon patriote, citoyen Lindey.

— Et je réponds, sur ma vie, des amis que j’ai eu l’imprudence d’amener avec moi.

— Ne réponds de personne, dit le procureur.

On entendit un grand remue-ménage dans les cours. C’était Simon, qui, après avoir cherché inutilement le petit billet enlevé par le vent, était allé trouver Santerre et lui avait raconté la tentative d’enlèvement de la reine avec tous les accessoires que pouvaient prêter à un pareil enlèvement les charmes de son imagination. Santerre était accouru ; on investissait le Temple et l’on changeait la garde, au grand dépit de Lorin, qui protestait contre cette offense faite à son bataillon.

— Ah ! méchant savetier, dit-il à Simon en le menaçant de son sabre, c’est à toi que je dois cette plaisanterie ; mais, sois tranquille, je te la revaudrai.

— Je crois plutôt que c’est toi qui payeras tout ensemble à la nation, dit le cordonnier en se frottant les mains.

— Citoyen Maurice, dit Santerre, tiens-toi à la disposition de la Commune, qui t’interrogera.

— Je suis à tes ordres, commandant ; mais j’ai déjà demandé à être arrêté et je le demande encore.

— Attends, attends, murmura sournoisement Simon ; puisque tu y tiens si fort, nous allons tâcher de faire ton affaire.

Et il alla retrouver la femme Tison.