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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

Simon était laid, Lorin était beau ; Simon était sale, Lorin sentait bon ; Simon était républicain fanfaron, Lorin était un de ces patriotes ardents qui, pour la Révolution, n’avaient fait que des sacrifices ; et puis, s’il eût fallu en venir aux coups, Simon sentait instinctivement que le poing du muscadin lui eût, non moins élégamment que Maurice, décerné un châtiment plébéien.

Simon, en apercevant Lorin, s’était arrêté court et avait pâli.

— C’est donc encore ce bataillon-là qui monte la garde ? grogna-t-il.

— Eh bien, après ? répondit un grenadier à qui l’apostrophe déplut. Il me semble qu’il en vaut bien un autre.

Simon tira un crayon de la poche de sa carmagnole et feignit de prendre une note sur une feuille de papier presque aussi noire que ses mains.

— Eh ! dit Lorin, tu sais donc écrire, Simon, depuis que tu es le précepteur de Capet ? Voyez, citoyens ; ma parole d’honneur, il note ; c’est Simon le censeur.

Et un éclat de rire universel, parti des rangs des jeunes gardes nationaux, presque tous jeunes gens lettrés, hébéta pour ainsi dire le misérable savetier.

— Bon, bon, dit-il, en grinçant des dents et en blêmissant de colère ; on dit que tu as laissé entrer des étrangers dans le donjon, et cela sans permission de la Commune. Bon, bon, je vais faire dresser procès-verbal par le municipal.

— Au moins celui-là sait écrire, répondit Lorin ; c’est Maurice, Maurice poing de fer, connais-tu ?

En ce moment justement, Morand et Geneviève sortaient.

À cette vue, Simon s’élança dans le donjon, juste au moment où, comme nous l’avons dit, Maurice donnait à la femme Tison un assignat de dix livres comme consolation.

Maurice ne fit pas attention à la présence de ce misérable, dont il s’éloignait d’ailleurs par instinct toutes les fois qu’il le trouvait sur sa route, comme on s’éloigne d’un reptile venimeux ou dégoûtant.

— Ah çà ! dit Simon à la femme Tison, qui s’essuyait les yeux avec son tablier, tu veux donc absolument te faire guillotiner, citoyenne ?

— Moi ! dit la femme Tison ; et pourquoi cela ?

— Comment ! tu reçois de l’argent des municipaux pour faire entrer les aristocrates chez l’Autrichienne !

— Moi ? dit la femme Tison. Tais-toi, tu es fou.

— Ce sera consigné au procès-verbal, dit Simon avec emphase.

— Allons donc, ce sont les amis du municipal Maurice, un des meilleurs patriotes qui existent.

— Des conspirateurs, te dis-je ; la Commune sera informée d’ailleurs, elle jugera.

— Allons, tu vas me dénoncer, espion de police ?

— Parfaitement, à moins que tu ne dénonces toi-même.

— Mais quoi dénoncer ? que veux-tu que je dénonce ?

— Ce qui s’est passé, donc.

— Mais puisqu’il ne s’est rien passé.

— Où étaient-ils, les aristocrates ?

— Là, sur l’escalier.

— Quand la veuve Capet est montée à la tour ?

— Oui.

— Et ils se sont parlé ?

— Ils se sont dit deux mots.

— Deux mots, tu vois ; d’ailleurs, ça sent l’aristocrate, ici.

— C’est-à-dire que ça sent l’œillet.

— L’œillet ! pourquoi l’œillet ?

— Parce que la citoyenne en avait un bouquet qui embaumait.

— Quelle citoyenne ?

— Celle qui regardait passer la reine.

— Tu vois bien, tu dis la reine, femme Tison ; la fréquentation des aristocrates te perd. Eh bien, sur quoi donc est-ce que je marche là ? continua Simon en se baissant.

— Eh ! justement, dit la femme Tison, c’est une fleur… un œillet ; il sera tombé des mains de la citoyenne Dixmer, quand Marie-Antoinette en a pris un dans son bouquet.

— La femme Capet a pris une fleur dans le bouquet de la citoyenne Dixmer ? dit Simon.

— Oui, et c’est moi-même qui le lui ai donné, entends-tu ? dit d’une voix menaçante Maurice, qui écoutait ce colloque depuis quelques instants et que ce colloque impatientait.

— C’est bien, c’est bien, on voit ce qu’on voit, et on sait ce qu’on dit, grogna Simon, qui tenait toujours à la main l’œillet froissé par son large pied.

— Et moi, reprit Maurice, je sais une chose et je vais te la dire, c’est que tu n’as rien à faire dans le donjon et que ton poste de bourreau est là-bas près du petit Capet, que tu ne battras pas cependant aujourd’hui, attendu que je suis là et que je te le défends.

— Ah ! tu menaces et tu m’appelles bourreau ! s’écria Simon en écrasant la fleur entre ses doigts ; ah ! nous verrons s’il est permis aux aristocrates… Eh bien, qu’est-ce donc que cela ?

— Quoi ? demanda Maurice.

— Ce que je sens dans l’œillet, donc ! Ah ! ah !

Et, aux yeux de Maurice stupéfait, Simon tira du calice de la fleur un petit papier roulé avec un soin exquis et qui avait été artistement introduit au centre de son épais panache.

— Oh ! s’écria Maurice à son tour, qu’est-ce que cela, mon Dieu ?

— Nous le saurons, nous le saurons, dit Simon en s’approchant de la lucarne. Ah ! ton ami Lorin