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Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/13

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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

On vote en effet, et, contre toute apparence, la majorité déclare : 1o qu’il y aura des jurés ; 2o que ces jurés seront pris en nombre égal dans les départements ; 3o qu’ils seront nommés par la Convention.

Au moment où ces trois propositions furent admises, de grands cris se firent entendre. La Convention était habituée aux visites de la populace. Elle fit demander ce qu’on lui voulait ; on lui répondit que c’était une députation des enrôlés volontaires qui avaient dîné à la halle au blé et qui demandaient à défiler devant elle.

Aussitôt les portes furent ouvertes et six cents hommes, armés de sabres, de pistolets et de piques, apparurent à moitié ivres et défilèrent au milieu des applaudissements, en demandant à grands cris la mort des traîtres.

— Oui, leur répondit Collot d’Herbois, oui, mes amis, malgré les intrigues, nous vous sauverons, vous et la liberté !

Et ces mots furent suivis d’un regard jeté aux Girondins, regard qui leur fit comprendre qu’ils n’étaient point encore hors de danger.

En effet, la séance de la Convention terminée, les Montagnards se répandent dans les autres clubs, courent aux Cordeliers et aux Jacobins, proposent de mettre les traîtres hors la loi et de les égorger cette nuit même.

La femme de Louvet demeurait rue Saint-Honoré, près des Jacobins. Elle entend des vociférations, descend, entre au club, entend la proposition et remonte en toute hâte prévenir son mari. Louvet s’arme, court de porte en porte pour prévenir ses amis, les trouve tous absents, apprend du domestique de l’un d’eux qu’ils sont chez Péthion, s’y rend à l’instant même, les voit délibérant tranquillement sur un décret qu’ils doivent présenter le lendemain, et que, abusés par une majorité de hasard, ils se flattent de faire passer. Il leur raconte ce qui se passe, leur communique ses craintes, leur dit ce qu’on trame contre eux aux Jacobins et aux Cordeliers, et se résume en les invitant à prendre de leur côté quelque mesure énergique.

Alors, Péthion se lève, calme et impassible comme d’habitude, va à la fenêtre, l’ouvre, regarde le ciel, étend les bras au dehors, et, retirant sa main ruisselante :

— Il pleut, dit-il, il n’y aura rien cette nuit.

Par cette fenêtre entr’ouverte pénétrèrent les dernières vibrations de l’horloge qui sonnait dix heures.

Voilà donc ce qui s’était passé à Paris la veille et le jour même ; voilà ce qui s’y passait pendant cette soirée du 10 mars, et ce qui faisait que, dans cette obscurité humide et dans ce silence menaçant, les maisons destinées à abriter les vivants, devenues muettes et sombres, ressemblaient à des sépulcres peuplés seulement de morts.

En effet, de longues patrouilles de gardes nationaux recueillis et précédés d’éclaireurs, la baïonnette en avant ; des troupes de citoyens des sections armés au hasard et serrés les uns contre les autres ; des gendarmes interrogeant chaque recoin de porte ou chaque allée entr’ouverte, tels étaient les seuls habitants de la ville qui se hasardassent dans les rues, tant on comprenait d’instinct qu’il se tramait quelque chose d’inconnu et de terrible.

Une pluie fine et glacée, cette même pluie qui avait rassuré Péthion, était venue augmenter la mauvaise humeur et le malaise de ces surveillants, dont chaque rencontre ressemblait à des préparatifs de combat et qui, après s’être reconnus avec défiance, échangeaient le mot d’ordre lentement et de mauvaise grâce. Puis on eût dit, à les voir se retourner les uns et les autres après leur séparation, qu’ils craignaient mutuellement d’être surpris par derrière.

Or, ce soir-là même où Paris était en proie à l’une de ces paniques, si souvent renouvelées qu’il eût dû cependant y être quelque peu habitué, ce soir où il était sourdement question de massacrer les tièdes révolutionnaires qui, après avoir voté, avec restriction pour la plupart, la mort du roi, reculaient aujourd’hui devant la mort de la reine, prisonnière au Temple avec ses enfants et sa belle-sœur, une femme enveloppée d’une mante d’indienne lilas, à pois noirs, la tête couverte ou plutôt ensevelie par le capuchon de cette mante, se glissait le long des maisons de la rue Saint-Honoré, se cachant dans quelque enfoncement de porte, dans quelque angle de muraille chaque fois qu’une patrouille apparaissait ; demeurant immobile comme une statue, retenant son haleine jusqu’à ce que la patrouille eût passé et alors reprenant sa course rapide et inquiète jusqu’à ce que quelque danger du même genre vînt de nouveau la forcer au silence et à l’immobilité.

Elle avait déjà parcouru ainsi impunément, grâce aux précautions qu’elle prenait, une partie de la rue Saint-Honoré, lorsqu’au coin de la rue de Grenelle elle tomba tout à coup, non pas dans une patrouille, mais dans une petite troupe de ces braves enrôlés volontaires qui avaient dîné à la Halle au blé, et dont le patriotisme était exalté encore par les nombreux toasts qu’ils avaient portés à leurs futures victoires.

La pauvre femme jeta un cri et essaya de fuir par la rue du Coq.

— Eh ! là, là, citoyenne, cria le chef des enrôlés, car déjà, tant le besoin d’être commandé est naturel à l’homme, ces dignes patriotes s’étaient nommés des chefs. Eh ! là, là, où vas-tu ?

La fugitive ne répondit point et continua de courir.

— En joue ! dit le chef, c’est un homme déguisé, un aristocrate qui se sauve !

Et le bruit de deux ou trois fusils retombant ir-