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Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/160

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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Morbleu ! dit Lorin, tu vois bien que personne ne tiendrait ici, à l’exception des salamandres, et ce n’est point cet animal fabuleux que tu cherches. Allons, viens ; nous demanderons, nous nous informerons aux assistants ; quelqu’un peut-être l’a-t-il vue.

Il eût fallu bien des forces réunies pour conduire Maurice hors de la maison ; l’Espérance l’entraîna par un de ses cheveux.

Alors commencèrent les investigations ; ils visitèrent les environs, arrêtant les femmes qui passaient, fouillant les allées, mais sans résultat. Il était une heure du matin ; Maurice, malgré sa vigueur athlétique, était brisé de fatigue : il renonça enfin à ses courses, à ses ascensions, à ses conflits perpétuels avec la foule.

Un fiacre passait ; Lorin l’arrêta.

— Mon cher, dit-il à Maurice, nous avons fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour retrouver ta Geneviève ; nous nous sommes éreintés ; nous nous sommes roussis ; nous nous sommes gourmés pour elle. Cupidon, si exigeant qu’il soit, ne peut exiger davantage d’un homme qui est amoureux, et surtout d’un homme qui ne l’est pas ; montons en fiacre, et rentrons chacun chez nous.

Maurice ne répondit point et se laissa faire. On arriva à la porte de Maurice sans que les deux amis eussent échangé une seule parole.

Au moment où Maurice descendait, on entendit une fenêtre de l’appartement de Maurice se refermer.

— Ah ! bon ! dit Lorin, on t’attendait, me voilà plus tranquille. Frappe maintenant.

Maurice frappa, la porte s’ouvrit.

— Bonsoir ! dit Lorin, demain matin attends-moi pour sortir.

— Bonsoir ! dit machinalement Maurice.

Et la porte se referma derrière lui.

Sur les premières marches de l’escalier il rencontra son officieux.

— Oh ! citoyen Lindey, s’écria celui-ci, quelle inquiétude vous nous avez donnée !

Le mot nous frappa Maurice.

— À vous ? dit-il.

— Oui, à moi et à la petite dame qui vous attend.

— La petite dame ! répéta Maurice, trouvant le moment mal choisi pour correspondre au souvenir que lui donnait sans doute quelqu’une de ses anciennes amies ; tu fais bien de me dire cela, je vais coucher chez Lorin.

— Oh ! impossible ; elle était à la fenêtre, elle vous a vu descendre, et s’est écriée : « Le voilà ! »

— Eh ! que m’importe qu’elle sache que c’est moi ; je n’ai pas le cœur à l’amour. Remonte, et dis à cette femme qu’elle s’est trompée.

L’officieux fit un mouvement pour obéir, mais il s’arrêta.

— Ah ! citoyen, dit-il, vous avez tort : la petite dame était déjà bien triste, ma réponse va la mettre au désespoir.

— Mais enfin, dit Maurice, quelle est cette femme ?

— Citoyen, je n’ai pas vu son visage ; elle est enveloppée d’une mante, et elle pleure ; voilà ce que je sais.

— Elle pleure ! dit Maurice.

— Oui, mais bien doucement, en étouffant ses sanglots.

— Elle pleure, répéta Maurice. Il y a donc quelqu’un au monde qui m’aime assez pour s’inquiéter à ce point de mon absence ?

Et il monta lentement derrière l’officieux.

— Le voici, citoyenne, le voici ! cria celui-ci en se précipitant dans la chambre.

Maurice entra derrière lui.

Il vit alors dans le coin du salon une forme palpitante qui se cachait le visage sous des coussins, une femme qu’on eût cru morte sans le gémissement convulsif qui la faisait tressaillir.

Il fit signe à l’officieux de sortir. Celui-ci obéit et referma la porte. Alors Maurice courut à la jeune femme, qui releva la tête.

— Geneviève ! s’écria le jeune homme, Geneviève chez moi ! suis-je donc fou, mon Dieu ?

— Non, vous avez toute votre raison, mon ami, répondit la jeune femme. Je vous ai promis d’être à vous si vous sauviez le chevalier de Maison-Rouge. Vous l’avez sauvé, me voici ! Je vous attendais.

Maurice se méprit au sens de ces paroles ; il recula d’un pas et, regardant tristement la jeune femme :

— Geneviève, dit-il doucement, Geneviève, vous ne m’aimez donc pas ?

Le regard de Geneviève se voila de larmes ; elle détourna la tête et, s’appuyant sur le dossier du sofa, elle éclata en sanglots.

— Hélas ! dit Maurice, vous voyez bien que vous ne m’aimez plus, et non seulement vous ne m’aimez plus, Geneviève, mais il faut que vous éprouviez une espèce de haine contre moi pour vous désespérer ainsi.

Maurice avait mis tant d’exaltation et de douleur dans ces derniers mots, que Geneviève se redressa et lui prit la main.

— Mon Dieu, dit-elle, celui qu’on croyait le meilleur sera donc toujours égoïste !

— Égoïste, Geneviève, que voulez-vous dire ?

— Mais vous ne comprenez donc pas ce que je souffre ? Mon mari en fuite, mon frère proscrit, ma maison en flammes, tout cela dans une nuit, et puis cette horrible scène entre vous et le chevalier !

Maurice l’écoutait avec ravissement, car il était impossible, même à la passion la plus folle, de ne pas admettre que de telles émotions accumulées puissent amener à l’état de douleur où Geneviève se trouvait.