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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— C’est peut-être avec l’homme qui a couru après moi.

— Un homme a couru après toi ?

— Oui.

— Pourquoi faire ?

— Pour me demander la clef de votre part.

— Quelle clef, malheureux ? Mais parle donc, parle donc !

— La clef de l’appartement.

— Tu as donné la clef de l’appartement à un étranger ? s’écria Maurice en saisissant des deux mains l’officieux au collet.

— Mais ce n’était pas un étranger, monsieur, puisque c’était un de vos amis.

— Ah ! oui, un de mes amis ? Bon, c’est Lorin, sans doute. C’est cela, elle sera sortie avec Lorin.

Et Maurice, souriant dans sa pâleur, passa son mouchoir sur son front mouillé de sueur.

— Non, non, non, monsieur, ce n’est pas lui, dit Scévola. Pardieu ! je connais bien M. Lorin, peut-être.

— Mais qui est-ce donc, alors ?

— Vous savez bien, citoyen, c’est cet homme, celui qui est venu un jour…

— Quel jour ?

— Le jour où vous étiez si triste, qui vous a emmené et qu’ensuite vous êtes revenu si gai…

Scévola avait remarqué toutes ces choses. Maurice le regarda d’un air effaré ; un frisson courut par tous ses membres ; puis, après un long silence :

— Dixmer ? s’écria-t-il.

— Ma foi, oui, je crois que c’est cela, citoyen, dit l’officieux.

Maurice chancela et alla tomber à reculons sur un fauteuil. Ses yeux se voilèrent.

— Oh ! mon Dieu ! murmura-t-il.

Puis, en se rouvrant, ses yeux se portèrent sur le bouquet de violettes oublié, ou plutôt laissé par Geneviève.

Il se précipita dessus, le prit, le baisa ; puis, remarquant l’endroit où il était déposé :

— Plus de doute, dit-il ; ces violettes… c’est son dernier adieu !

Alors Maurice se retourna ; et seulement alors il remarqua que la malle était à moitié pleine, que le reste du linge était à terre ou dans l’armoire entr’ouverte.

Sans doute le linge qui était à terre était tombé des mains de Geneviève à l’apparition de Dixmer.

De ce moment il s’expliqua tout. La scène surgit vivante et terrible à ses yeux, entre ces quatre murs témoins naguère de tant de bonheur.

Jusque-là, Maurice était resté abattu, écrasé. Le réveil fut affreux, la colère du jeune homme effrayante.

Il se leva, ferma la fenêtre restée entr’ouverte, prit sur le haut de son secrétaire deux pistolets tout chargés pour le voyage, en examina l’amorce, et, voyant que l’amorce était en bon état, il mit les pistolets dans sa poche.

Puis il glissa dans sa bourse deux rouleaux de louis, que, malgré son patriotisme, il avait jugé prudent de garder au fond d’un tiroir, et, prenant à la main son sabre dans le fourreau :

— Scévola, dit-il, tu m’es attaché, je crois ; tu as servi mon père et moi depuis quinze ans.

— Oui, citoyen, reprit l’officieux saisi d’effroi à l’aspect de cette pâleur marbrée et de ce tremblement nerveux que jamais il n’avait remarqué dans son maître, qui passait à bon droit pour le plus intrépide et le plus vigoureux des hommes ; oui, que m’ordonnez-vous ?

— Écoute ! si cette dame qui demeurait ici…

Il s’interrompit ; sa voix tremblait si fort en prononçant ces mots, qu’il ne put continuer.

— Si elle revient, reprit-il au bout d’un instant, reçois-la ; ferme la porte derrière elle ; prends cette carabine, place-toi sur l’escalier, et, sur ta tête, sur ta vie, sur ton âme, ne laisse entrer personne ; si l’on veut forcer la porte, défends-la ; frappe ! tue ! tue ! et ne crains rien, Scévola, je prends tout sur moi.

L’accent du jeune homme, sa véhémente confiance électrisèrent Scévola.

— Non seulement je tuerai, dit-il, mais encore je me ferai tuer pour la citoyenne Geneviève.

— Merci… Maintenant, écoute. Cet appartement m’est odieux, et je ne veux pas remonter ici que je ne l’aie retrouvée. Si elle a pu s’échapper, si elle est revenue, place sur ta fenêtre le grand vase du Japon avec les reines-marguerites qu’elle aimait tant. Voilà pour le jour. La nuit, mets une lanterne. Chaque fois que je passerai au bout de la rue, je serai informé ; tant que je ne verrai ni lanterne ni vase, je continuerai mes recherches.

— Oh ! monsieur, soyez prudent ! soyez prudent ! s’écria Scévola.

Maurice ne répondit même pas ; il s’élança hors de la chambre, descendit l’escalier comme s’il eût eu des ailes, et courut chez Lorin.

Il serait difficile d’exprimer la stupéfaction, la colère, la rage du digne poète lorsqu’il apprit cette nouvelle ; autant vaudrait recommencer les touchantes élégies que devait inspirer Oreste à Pylade.

— Ainsi tu ne sais où elle est ? ne cessait-il de répéter.

— Perdue, disparue ! hurlait Maurice dans un paroxysme de désespoir ; il l’a tuée, Lorin, il l’a tuée !

— Eh ! non, mon cher ami ; non, mon bon Maurice, il ne l’a pas tuée ; non, ce n’est pas après tant de jours de réflexion qu’on assassine une femme comme Geneviève ; non, s’il l’avait tuée, il l’eût tuée sur la place, et il eût, en signe de sa vengeance,