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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

laissé le corps chez toi. Non, vois-tu, il s’est enfui avec elle, trop heureux d’avoir retrouvé son trésor.

— Tu ne le connais pas, Lorin, tu ne le connais pas, disait Maurice ; cet homme avait quelque chose de funeste dans le regard.

— Mais non, tu te trompes ; il m’a toujours fait l’effet d’un brave homme, à moi. Il l’a prise pour la sacrifier. Il se fera arrêter avec elle ; on les tuera ensemble. Ah ! voilà où est le danger, disait Lorin.

Et ces paroles redoublaient le délire de Maurice.

— Je la retrouverai ! je la retrouverai, ou je mourrai ! s’écriait-il.

— Oh ! quant à cela, il est certain que nous la retrouverons, dit Lorin ; seulement, calme-toi. Voyons, Maurice, mon bon Maurice, crois-moi, on cherche mal quand on ne réfléchit pas ; on réfléchit mal quand on s’agite comme tu fais.

— Adieu, Lorin, adieu !

— Que fais-tu donc ?

— Je m’en vais.

— Tu me quittes ? pourquoi cela ?

— Parce que cela ne regarde que moi seul ; parce que moi seul dois risquer ma vie pour sauver celle de Geneviève.

— Tu veux mourir ?

— J’affronterai tout : je veux aller trouver le président du comité de surveillance, je veux parler à Hébert, à Danton, à Robespierre ; j’avouerai tout, mais il faut qu’on me la rende.

— C’est bien, dit Lorin.

Et, sans ajouter un mot, il se leva, ajusta son ceinturon, se coiffa du chapeau d’uniforme, et, comme avait fait Maurice, il prit deux pistolets chargés qu’il mit dans ses poches.

— Partons, ajouta-t-il simplement.

— Mais tu te compromets ! s’écria Maurice.

— Eh bien, après ?


Il faut, mon cher, quand la pièce est finie,
S’en retourner en bonne compagnie.

— Où allons-nous chercher d’abord ? dit Maurice.

— Cherchons d’abord dans l’ancien quartier, tu sais ? vieille rue Saint-Jacques ; puis guettons le Maison-Rouge ; où il sera, sera sans doute Dixmer ; puis rapprochons-nous des maisons de la Vieille-Corderie. Tu sais que l’on parle de transférer Antoinette au Temple ! Crois-moi, des hommes comme ceux-là ne perdront qu’au dernier moment l’espoir de la sauver.

— Oui, répéta Maurice, en effet, tu as raison…. Maison-Rouge, crois-tu donc qu’il soit à Paris ?

— Dixmer y est bien.

— C’est vrai, c’est vrai ; ils se sont réunis, dit Maurice, à qui de vagues lueurs venaient de rendre un peu de raison.

Alors, et à partir de ce moment, les deux amis se mirent à chercher ; mais ce fut en vain. Paris est grand, et son ombre est épaisse. Jamais gouffre n’a su receler plus obscurément le secret que le crime ou le malheur lui confie.

Cent fois Lorin et Maurice passèrent sur la place de Grève, cent fois ils effleurèrent la petite maison dans laquelle vivait Geneviève, surveillée sans relâche par Dixmer, comme les prêtres d’autrefois surveillaient la victime destinée au sacrifice.

De son côté, se voyant destinée à périr, Geneviève, comme toutes les âmes généreuses, accepta le sacrifice et voulut mourir sans bruit ; d’ailleurs, elle redoutait moins encore pour Dixmer que pour la cause de la reine une publicité que Maurice n’eût pas manqué de donner à sa vengeance.

Elle garda donc un silence aussi profond que si la mort eût déjà fermé sa bouche.

Cependant, sans en rien dire à Lorin, Maurice avait été supplier les membres du terrible comité de Salut public ; et Lorin, sans en parler à Maurice, s’était, de son côté, dévoué aux mêmes démarches.

Aussi, le même jour, une croix rouge fut tracée par Fouquier-Tinville à côté de leurs noms, et le mot suspects les réunit dans une sanglante accolade.