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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Eh ! jurez donc, monsieur ; vous ne risquez pas grand-chose, ce me semble.

— Eh bien ! je jure, quelque chose qui m’arrive, dit Maurice en fermant les yeux.

Il s’arrêta.

— Laissez-moi vous voir encore une fois, une seule fois, dit-il, je vous en supplie.

La jeune femme rabattit son capuchon avec un sourire qui n’était pas exempt de coquetterie ; et à la lueur de la lune, qui en ce moment même glissait entre deux nuages, il put revoir pour la seconde fois ces longs cheveux pendants en boucles d’ébène, l’arc parfait d’un double sourcil qu’on eût cru dessiné à l’encre de Chine, deux yeux fendus en amande, veloutés et languissants, un nez de la forme la plus exquise, des lèvres fraîches et brillantes comme du corail.

— Oh ! vous êtes belle, bien belle, trop belle ! s’écria Maurice.

— Fermez les yeux, dit l’inconnue.

Maurice obéit.

La jeune femme prit ses deux mains dans les siennes, le tourna comme elle voulut. Soudain une chaleur parfumée sembla s’approcher de son visage, et une bouche effleura sa bouche, laissant entre ses deux lèvres la bague qu’il avait refusée.

Ce fut une sensation rapide comme la pensée, brûlante comme une flamme. Maurice ressentit une commotion qui ressemblait presque à la douleur, tant elle était inattendue et profonde, tant elle avait pénétré au fond du cœur et en avait fait frémir les fibres secrètes.

Il fit un brusque mouvement en étendant les bras devant lui.

— Votre serment ! cria une voix déjà éloignée.

Maurice appuya ses mains crispées sur ses yeux pour résister à la tentation de se parjurer. Il ne compta plus, il ne pensa plus ; il resta muet, immobile, chancelant.

Au bout d’un instant il entendit comme le bruit d’une porte qui se refermait à cinquante ou soixante pas de lui ; puis tout bientôt rentra dans le silence.

Alors il écarta ses doigts, rouvrit les yeux, regarda autour de lui comme un homme qui s’éveille, et peut-être eût-il cru qu’il se réveillait en effet et que tout ce qui venait de lui arriver n’était qu’un songe, s’il n’eût tenu serrée entre ses lèvres la bague qui faisait de cette incroyable aventure une incontestable réalité.

CHAPITRE IV

Mœurs du temps



L orsque Maurice Lindey revint à lui et regarda autour de lui, il ne vit que des ruelles sombres qui s’allongeaient à sa droite et à sa gauche ; il essaya de chercher, de se reconnaître ; mais son esprit était troublé, la nuit était sombre ; la lune, qui était sortie un instant pour éclairer le charmant visage de l’inconnue, était rentrée dans ses nuages. Le jeune homme, après un moment de cruelle incertitude, reprit le chemin de sa maison, située rue du Roule.

En arrivant dans la rue Sainte-Avoie, Maurice fut surpris de la quantité de patrouilles qui circulaient dans le quartier du Temple.

— Qu’y a-t-il donc, sergent ? demanda-t-il au chef d’une patrouille fort affairée qui venait de faire perquisition dans la rue des Fontaines.

— Ce qu’il y a ? dit le sergent. Il y a, mon officier, qu’on a voulu enlever cette nuit la femme Capet et toute sa nichée.

— Et comment cela ?

— Une patrouille de ci-devant qui s’était, je ne sais comment, procuré le mot d’ordre, s’était introduite au Temple sous le costume de chasseurs de la garde nationale, et les devait enlever. Heureusement, celui qui représentait le caporal, en parlant à l’officier de garde, l’a appelé monsieur ; il s’est vendu lui-même, l’aristocrate !

— Diable ! fit Maurice. Et a-t-on arrêté les conspirateurs ?

— Non ; la patrouille a gagné la rue, et elle s’est dispersée.

— Et y a-t-il quelque espoir de rattraper ces gaillards-là ?

— Oh ! il n’y en a qu’un qu’il serait bien important de reprendre, le chef, un grand maigre… qui avait été introduit parmi les hommes de garde par un des municipaux de service. Nous a-t-il fait courir