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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

honnêtes gens sont rares, Geneviève, et l’on ne peut trop faire pour les ramener à soi quand ils se sont écartés. Geneviève, vous écrirez à Maurice, n’est-ce pas ?

— Oh ! mon Dieu ! dit la jeune femme.

Et elle laissa tomber sa tête entre ses deux mains ; car celui sur lequel elle comptait s’appuyer au moment du danger lui manquait tout à coup et la précipitait au lieu de la retenir.

Dixmer la regarda un instant ; puis, s’efforçant de sourire :

— Allons, chère amie, dit-il, point d’amour-propre de femme ; si Maurice veut recommencer à vous faire quelque bonne déclaration, riez de la seconde, comme vous avez fait de la première. Je vous connais, Geneviève, vous êtes un digne et noble cœur. Je suis sûr de vous.

— Oh ! s’écria Geneviève en se laissant glisser de façon à ce qu’un de ses genoux touchât la terre, oh ! mon Dieu ! qui peut être sûr des autres quand nul n’est sûr de soi ?

Dixmer devint pâle, comme si tout son sang se retirait vers son cœur.

— Geneviève, dit-il, j’ai eu tort de vous faire passer par toutes les angoisses que vous venez d’éprouver. J’aurais dû vous dire tout de suite : Geneviève, nous sommes dans l’époque des grands dévouements ; Geneviève, j’ai dévoué à la reine, notre bienfaitrice, non seulement mon bras, non seulement ma tête, mais encore ma félicité ; d’autres lui donneront leur vie. Je ferai plus que de lui donner ma vie, moi, je risquerai mon honneur ; et mon honneur, s’il périt, ne sera qu’une larme de plus tombant dans cet océan de douleurs qui s’apprête à engloutir la France. Mais mon honneur ne risque rien, quand il est sous la garde d’une femme comme ma Geneviève.

Pour la première fois Dixmer venait de se révéler tout entier.

Geneviève redressa la tête, fixa sur lui ses beaux yeux pleins d’admiration, se releva lentement, lui donna son front à baiser.

— Vous le voulez ? dit-elle. Dixmer fit un signe affirmatif.

— Dictez alors.

Et elle prit une plume.

— Non point, dit Dixmer ; c’est assez d’user, d’abuser peut-être de ce digne jeune homme ; et, puisqu’il se réconciliera avec nous, à la suite d’une lettre qu’il aura reçue de Geneviève, que cette lettre soit bien de Geneviève et non de M. Dixmer.

Et Dixmer baisa une seconde fois sa femme au front, la remercia et sortit. Alors Geneviève tremblante écrivit :


« Citoyen Maurice,

« Vous saviez combien mon mari vous aimait. Trois semaines de séparation, qui nous ont paru un siècle, vous l’ont-elles fait oublier ? Venez ; nous vous attendons ; votre retour sera une véritable fête.

« Geneviève. »

CHAPITRE XV

La déesse Raison



C omme Maurice l’avait fait dire la veille au général Santerre, il était sérieusement malade.

Depuis qu’il gardait la chambre, Lorin était venu régulièrement le voir, et avait fait tout ce qu’il avait pu pour le déterminer à prendre quelque distraction. Mais Maurice avait tenu bon. Il y a des maladies dont on ne veut pas guérir.

Le 1er  juin, il arriva vers une heure.

— Qu’y a-t-il donc de particulier aujourd’hui ? demanda Maurice. Tu es superbe.

En effet, Lorin avait le costume de rigueur : le bonnet rouge, la carmagnole et la ceinture tricolore ornée de ces deux instruments, qu’on appelait alors les burettes de l’abbé Maury, et qu’auparavant et depuis, on appela tout bonnement des pistolets.

— D’abord, dit Lorin, il y a généralement la débâcle de la Gironde qui est en train de s’exécuter, mais tambour battant ; dans ce moment-ci, par exemple, on chauffe les boulets rouges sur la place du Carrousel. Puis, particulièrement parlant, il y a une