Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

clara d’abord qu’elle ne se retirerait que lorsque la veuve Capet serait couchée.

Madame Élisabeth prit alors congé de la reine, et passa dans sa chambre.

La reine se déshabilla et se coucha, ainsi que madame Royale ; alors la femme Tison prit la bougie et sortit.

Les municipaux étaient déjà couchés sur leurs lits de sangle dans le corridor.

La lune, cette pâle visiteuse des prisonnières, glissait par l’ouverture de l’auvent un rayon diagonal qui allait de la fenêtre au pied du lit de la reine.

Un instant tout resta calme et silencieux dans la chambre.

Puis une porte roula doucement sur ses gonds, une ombre passa dans le rayon de lumière, et vint s’approcher du chevet du lit. C’était madame Élisabeth.

— Avez-vous vu ? dit-elle à voix basse.

— Oui, répondit la reine.

— El vous avez compris ?

— Si bien que je n’y puis croire.

— Voyons, répétons les signes.

— D’abord il a touché à son œil pour nous indiquer qu’il y avait quelque chose de nouveau.

— Puis il a passé sa serviette de son bras gauche à son bras droit, ce qui veut dire qu’on s’occupe de notre délivrance.

— Puis il a porté la main à son front, en signe que l’aide qu’il nous annonce vient de l’intérieur, et non de l’étranger.

— Puis, quand vous lui avez demandé de ne point oublier demain votre lait d’amande, il a fait deux nœuds à son mouchoir.

— Ainsi, c’est encore le chevalier de Maison-Rouge. Noble cœur !

— C’est lui, dit madame Élisabeth.

— Dormez-vous, ma fille ? demanda la reine.

— Non, ma mère, répondit madame Royale.

— Alors, priez pour qui vous savez.

Madame Élisabeth regagna sans bruit sa chambre, et pendant cinq minutes on entendit la voix de la jeune princesse qui parlait à Dieu dans le silence de la nuit.

C’était juste au moment où, sur l’indication de Morand, les premiers coups de pioche étaient donnés dans la petite maison de la rue de la Corderie.


CHAPITRE XVIII

Nuages



À part l’enivrement des premiers regards, Maurice s’était trouvé au-dessous de son attente dans la réception que lui avait faite Geneviève, et il comptait sur la solitude pour regagner le chemin qu’il avait perdu, ou du moins qu’il paraissait avoir perdu dans la route de ses affections.

Mais Geneviève avait son plan arrêté ; elle comptait bien ne pas lui fournir l’occasion d’un tête-à-tête, d’autant plus qu’elle se rappelait par leur douceur même combien ces tête-à-tête étaient dangereux.

Maurice comptait sur le lendemain ; une parente, sans doute prévenue à l’avance, était venue faire une visite, et Geneviève l’avait retenue. Cette fois-là, il n’y avait rien à dire ; car il pouvait n’y avoir pas de la faute de Geneviève.

En s’en allant, Maurice fut chargé de reconduire la parente, qui demeurait rue des Fossés-Saint-Victor.

Maurice s’éloigna en faisant la moue ; mais Geneviève lui sourit, et Maurice prit ce sourire pour une promesse.

Hélas ! Maurice se trompait. Le lendemain 2 juin, jour terrible qui vit la chute des girondins, Maurice congédia son ami Lorin, qui voulait absolument l’emmener à la Convention, et mit à part toutes choses pour aller voir son amie. La déesse de la liberté avait une terrible rivale en Geneviève.

Maurice trouva Geneviève dans son petit salon, Geneviève pleine de grâce et de prévenances ; mais près d’elle était une jeune femme de chambre, à la cocarde tricolore, qui marquait des mouchoirs dans l’angle de la fenêtre, et qui ne quitta point sa place.

Maurice fronça le sourcil : Geneviève s’aperçut que l’Olympien était de mauvaise humeur ; elle redoubla de prévenances ; mais, comme elle ne poussa point l’amabilité jusqu’à congédier la jeune offi-