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Le collier de la Reine


, ou tenter une attaque sur Suffren quand le lion montrait ses dents.

Puis après l’action, pendant laquelle il avait prodigué sa vie avec l’insouciance du dernier matelot, on l’avait vu humain, généreux, compatissant ; c’était le type du vrai marin, un peu oublié depuis Jean-Bart et Duguay-Trouin, que la France retrouvait dans le bailli de Suffren.

Nous n’essaierons pas de peindre le bruit et l’enthousiasme que son arrivée à Versailles fit éclater parmi les gentilshommes convoqués à cette réunion.

Suffren était un homme de cinquante-six ans, gros, court, à l’œil de feu, au geste noble et facile. Agile malgré son obésité, majestueux malgré sa souplesse, il portait fièrement sa coiffure, ou plutôt sa crinière ; comme un homme habitué à se jouer de toutes les difficullés, il avait trouvé moyen de se faire habiller et coiffer dans son carrosse de poste.

Il portait l’habit bleu brodé d’or, la veste rouge, la culotte bleue. Il avait gardé le col militaire sur lequel son puissant menton venait s’arrondir comme le complément obligé de sa tête colossale.

Lorsqu’il était entré dans la salle des gardes, quelqu’un avait dit un mot à monsieur de Castries, lequel se promenait en long et en large avec impatience, et aussitôt celui-ci s’était écrié :

— Monsieur de Suffren, messieurs !

Aussitôt les gardes, sautant sur leurs mousquetons, s’étaient alignés d’eux-mêmes comme s’il se fût agi du roi de France, et, le bailli une fois passé, ils s’étaient formés derrière lui en bon ordre, quatre par quatre, comme pour lui servir de cortège.

Lui, serrant les mains de monsieur de Castries, il avait cherché à l’embrasser.

Mais le ministre de la marine le repoussait doucement.

— Non, non, monsieur, lui disait-il, non, je ne veux pas priver du bonheur de vous embrasser le premier quelqu’un qui en est plus digne que moi.

Et il conduisit de cette façon monsieur de SuffTen jusqu’à Louis XVI.