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Le collier de la Reine


Un aide de camp de monsieur de Castries, ministre de la marine, s’approcha du roi et lui dit quelques mots à l’oreille.

— Bien, répondit le roi, allez.

Puis à la reine :

— Tout va bien, ajouta-t-il.

Chacun interrogea son voisin du regard, le «tout va bien» donnant fort à penser atout le monde.

Tout à coup, monsieur le maréchal de Castries entra dans la salle en disant à haute voix :

— Sa Majesté veut-elle recevoir monsieur le bailli de Suffren, qui arrive de Toulon ?

A ce nom, prononcé d’une voix haute, enjouée, triomphante, il se fit dans l’assemblée un tumulte inexprimable.

— Oui, monsieur, répondit le roi, et avec grand plaisir. Monsieur de Castries sortit.

Il y eut presque un mouvement en masse vers la porte par où monsieur de Castries venait de disparaître.

Pour expliquer cette sympathie de la France envers monsieur de Suffren, pour faire comprendre l’intérêt qu’un roi, qu’une reine, que des princes d’un sang royal mettaient à jouir les premiers d’un coup d’œil de Suffren, peu de mots suffiront. Suffren est un nom essentiellement français : comme Turenne, comme Catinat, comme Jean-Bart.

Depuis la guerre avec l’Angleterre, ou plutôt depuis la dernière période de combats qui avaient précédé la paix, monsieur le commandant de Suffren avait livré sept grandes batailles navales sans subir une défaite ; il avait pris Trinquemale et Gondelour, assuré les possessions françaises, nettoyé la mer, et appris au nabab Haïder-Aly que la France était la première puissance de l'Europe. Il avait apporté dans l’exercice de la profession de marin toute la diplomatie d’un négociateur fin et honnête, toute la bravoure et toute la tactique d’un soldat, toute l’habileté d’un sage administrateur. Hardi, infatigable, orgueilleux quand il s’agissait de l’honneur du pavillon français, il avait fatigué les Anglais sur terre et sur mer, à ce point que ces fiers marins n’osèrent jamais achever une victoire conmen-