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Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/235

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— À qui votre disparition pouvait-elle être utile ?

— À personne, mon Dieu ! j’étais si peu de chose.

— Ne répondez pas ainsi, car la réponse manque à la fois de logique et de philosophie ; tout est relatif, mon cher ami, depuis le roi qui gêne son futur successeur, jusqu’à l’employé qui gêne le surnuméraire : si le roi meurt, le successeur hérite d’une couronne ; si l’employé meurt, le surnuméraire hérite de douze cents livres d’appointements. Ces douze cents livres d’appointements, c’est sa liste civile à lui ; ils lui sont aussi nécessaires pour vivre que les douze millions d’un roi. Chaque individu, depuis le plus bas jusqu’au plus haut degré de l’échelle sociale, groupe autour de lui tout un petit monde d’intérêts, ayant ses tourbillons et ses atomes crochus, comme les mondes de Descartes. Seulement, ces mondes vont toujours s’élargissant à mesure qu’ils montent. C’est une spirale renversée et qui se tient sur la pointe par un jeu d’équilibre. Revenons-en donc à votre monde à vous. Vous alliez être nommé capitaine du Pharaon ?

— Oui.

— Vous alliez épouser une belle jeune fille ?

— Oui.

— Quelqu’un avait-il intérêt à ce que vous ne devinssiez pas capitaine du Pharaon ? Quelqu’un avait-il intérêt à ce que vous n’épousassiez pas Mercédès ? Répondez d’abord à la première question, l’ordre est la clef de tous les problèmes. Quelqu’un avait-il intérêt à ce que vous ne devinssiez pas capitaine du Pharaon ?

— Non ; j’étais fort aimé à bord. Si les matelots avaient pu élire un chef, je suis sûr qu’ils m’eussent élu. Un seul homme avait quelque motif de m’en vouloir ; j’avais eu quelque temps auparavant une querelle avec