Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 2.djvu/28

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On comprend qu’il ne fut point question de déjeuner pour Dantès ; mais il exigea que ses camarades, qui n’avaient pas les mêmes raisons que lui pour faire diète, retournassent à leur poste. Quant à lui, il prétendit qu’il n’avait besoin que d’un peu de repos, et qu’à leur retour ils le trouveraient soulagé.

Les marins ne se firent pas trop prier : les marins avaient faim, l’odeur du chevreau arrivait jusqu’à eux et l’on n’est point cérémonieux entre loups de mer.

Une heure après ils revinrent. Tout ce qu’Edmond avait pu faire, c’était de se traîner pendant un espace d’une dizaine de pas pour s’appuyer à une roche moussue.

Mais, loin de se calmer, les douleurs de Dantès avaient semblé croître en violence. Le vieux patron, qui était forcé de partir dans la matinée pour aller déposer son chargement sur les frontières du Piémont et de la France, entre Nice et Fréjus, insista pour que Dantès essayât de se lever. Dantès fit des efforts surhumains pour se rendre à cette invitation ; mais à chaque effort il retombait plaintif et pâlissant.

— Il a les reins cassés, dit tout bas le patron : n’importe ! c’est un bon compagnon, et il ne faut pas l’abandonner ; tâchons de le transporter jusqu’à la tartane.

Mais Dantès déclara qu’il aimait mieux mourir où il était que de supporter les douleurs atroces que lui occasionnerait le mouvement, si faible qu’il fût.

— Eh bien, dit le patron, advienne que pourra, mais il ne sera pas dit que nous avons laissé sans secours un brave compagnon comme vous. Nous ne partirons que ce soir.

Cette proposition étonna fort les matelots, quoique aucun d’eux ne la combattit, au contraire. Le patron était