Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/106

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Bertuccio s’inclina et reprit sa narration.

— Moitié pour chasser les souvenirs qui m’assiégeaient, moitié pour subvenir aux besoins de la pauvre veuve, je me remis avec ardeur à ce métier de contrebandier, devenu plus facile par le relâchement des lois qui suit toujours les révolutions. Les côtes du Midi, surtout, étaient mal gardées, à cause des émeutes éternelles qui avaient lieu, tantôt à Avignon, tantôt à Nîmes, tantôt à Uzès. Nous profitâmes de cette espèce de trêve qui nous était accordée par le gouvernement pour lier des relations avec tout le littoral. Depuis l’assassinat de mon frère dans les rues de Nîmes, je n’avais pas voulu rentrer dans cette ville. Il en résulta que l’aubergiste avec lequel nous faisions des affaires, voyant que nous ne voulions plus venir à lui, était venu à nous et avait fondé une succursale de son auberge sur la route de Bellegarde à Beaucaire, à l’enseigne du Pont du Gard. Nous avions ainsi, soit du côté d’Aigue-Mortes, soit aux Martigues, soit à Bouc, une douzaine d’entrepôts où nous déposions nos marchandises et où, au besoin, nous trouvions un refuge contre les douaniers et les gendarmes. C’est un métier qui rapporte beaucoup que celui de contrebandier, lorsqu’on y applique une certaine intelligence secondée par quelque vigueur ; quant à moi, je vivais dans les montagnes ayant maintenant une double raison de craindre gendarmes et douaniers, attendu que toute comparution devant les juges pouvait amener une enquête, que cette enquête est toujours une excursion dans le passé, et que dans mon passé, à moi, on pouvait rencontrer maintenant quelque chose plus grave que des cigares entrés en contrebande ou des barils d’eau-de-vie circulant sans laissez-passer. Aussi, préférant mille fois la mort à une arrestation, j’accomplissais des choses