Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que les symptômes généraux. Aucune indication particulière dans aucun organe ; exaspération du système nerveux, voilà tout, et trace de congestion cérébrale, pas davantage ; la poule n’avait pas été empoisonnée, elle était morte d’apoplexie. C’est un cas rare chez les poules, je le sais bien, mais fort commun chez les hommes.

Madame de Villefort paraissait de plus en plus rêveuse.

— C’est bien heureux, dit-elle, que de pareilles substances ne puissent être préparées que par des chimistes, car, en vérité, la moitié du monde empoisonnerait l’autre.

— Par des chimistes ou des personnes qui s’occupent de chimie, répondit négligemment Monte-Cristo.

— Et puis, dit madame de Villefort s’arrachant elle-même et avec effort à ses pensées, si savamment préparé qu’il soit, le crime est toujours le crime : et s’il échappe à l’investigation humaine, il n’échappe pas au regard de Dieu. Les Orientaux sont plus forts que nous sur les cas de conscience, et ont prudemment supprimé l’enfer ; voilà tout.

— Eh ! madame, ceci est un scrupule qui doit naturellement naître dans une âme honnête comme la vôtre, mais qui en serait bientôt déraciné par le raisonnement. Le mauvais côté de la pensée humaine sera toujours résumé par ce paradoxe de Jean Jacques Rousseau, vous savez : « Le mandarin qu’on tue à cinq mille lieues en levant le bout du doigt. » La vie de l’homme se passe à faire de ces choses-là, et son intelligence s’épuise à les rêver. Vous trouvez fort peu de gens qui s’en aillent brutalement planter un couteau dans le cœur de leur semblable ou qui administrent, pour le faire disparaître de la surface du globe, cette quantité d’arsenic que nous disions tout à l’heure. C’est là réellement une