Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/197

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« Si son cœur est libre et qu’il veuille épouser Haydée, fille d’Ali, pacha de Janina, que j’ai élevée avec l’amour d’un père et qui a eu pour moi la tendresse d’une fille, il accomplira, je ne dirai point ma dernière volonté, mais mon dernier désir.

« Le présent testament a déjà fait Haydée héritière du reste de ma fortune, consistant en terres, rentes sur l’Angleterre, l’Autriche et la Hollande, mobilier dans mes différents palais et maisons, et qui, ces vingt millions prélevés, ainsi que les différents legs faits à mes serviteurs, pourront monter encore à soixante millions. »

Il achevait d’écrire cette dernière ligne, lorsqu’un cri, poussé derrière lui, lui fit tomber la plume des mains.

— Haydée, dit-il, vous avez lu ?

En effet, la jeune femme, réveillée par le jour qui avait frappé ses paupières, s’était levée et s’était approchée du comte sans que ses pas légers, assourdis d’ailleurs par le tapis, eussent été entendus.

— Oh ! mon seigneur, dit-elle en joignant les mains, pourquoi écrivez-vous ainsi à une pareille heure ? Pourquoi me léguez-vous toute votre fortune, mon seigneur ? Vous me quittez donc ?

— Je vais faire un voyage, cher ange, dit Monte-Cristo avec une expression de mélancolie et de tendresse infinies, et s’il m’arrivait malheur…

Le comte s’arrêta.

— Eh bien ?… demanda la jeune fille avec un accent d’autorité que le comte ne lui connaissait point et qui le fit tressaillir.

— Eh bien ! s’il m’arrive malheur, reprit Monte-Cristo, je veux que ma fille soit heureuse.

Haydée sourit tristement en secouant la tête.

— Vous pensez à mourir, mon seigneur ? dit-elle.