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LE MAITRE D’ARMES

I

J’étais encore dans l’âge des illusions, je possédais une somme de 4,000 fr., qui me paraissait un trésor inépuisable, et j’avais entendu parler de la Russie comme d’un véritable Eldorado pour tout artiste un peu supérieur dans son art : or, comme je ne manquais pas de confiance en moi-même, je me décidai à partir pour Saint-Pétersbourg.

Cette résolution une fois prise fut bientôt exécutée : j’étais garçon, je ne laissais rien derrière moi, pas même des dettes ; je n’eus donc à prendre que quelques lettres de recommandation et mon passe-port, ce qui ne fut pas long, et huit jours après m’être décidé au départ, j’étais sur la route de Bruxelles.

J’avais choisi la voie de terre, d’abord parce que je comptais donner quelques assauts dans les villes où je passerais, et défrayer ainsi le voyage par le voyage même ; ensuite parce que, enthousiaste de notre gloire, je désirais visiter quelques-uns de ces beaux champs de bataille, où je croyais que, comme au tombeau de Virgile, les lauriers devaient pousser tout seuls.

Je m’arrêtai deux jours dans la capitale de la Belgique ; le premier jour j’y donnai un assaut, et le second jour j’eus un duel. Comme je me tirai assez heureusement de l’un et de l’autre, on me fit, pour rester dans la ville, des propositions fort acceptables, que cependant je n’acceptai point : j’étais poussé en avant.

Néanmoins je m’arrêtai un jour à Liège ; j’avais là, aux archives de la ville, un ancien écolier près duquel je ne voulais pas passer sans lui faire ma visite. Il demeurait rue Pierreuse : de la terrasse de sa maison, et en faisant connaissance avec le vin du Rhin, je pus donc voir la ville se dérou-