Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/209

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Il lui sembla qu’Agnelette était engagée avec lui par serment, qu’Engoulevent lui enlevait son bien.

Peu s’en fallut qu’il ne bondît hors de sa cachette pour reprocher à la jeune fille sa trahison.

Agnelette, lui échappant, venait d’acquérir à l’instant même aux yeux de Thibault des vertus, des qualités, des avantages qu’il n’avait pas même soupçonnés quand, pour les posséder, il n’avait qu’à dire un mot.

Après toutes les déceptions qu’il avait éprouvées, perdre ce qu’il regardait comme un trésor à lui, auquel il lui semblait qu’il serait toujours temps de revenir parce qu’il lui semblait que personne n’aurait jamais l’idée de le lui envier, lui parut un dernier coup de la fortune.

Son désespoir, pour être muet, n’en fut que plus morne et plus profond. Il se mordit les poings, battit de sa tête les parois de l’arbre ; enfin, il pleura et sanglota.

Mais ces pleurs et ces sanglots n’étaient point de ceux qui, en attendrissant le cœur, servent souvent de transition entre un mauvais et un bon sentiment ; non, pleurs et sanglots, inspirés cette fois plutôt par la colère, plutôt par la rage que par le regret, pleurs et sanglots ne purent chasser la haine de l’âme de Thibault.

Il semblait qu’en même temps qu’une moitié des larmes se déversait au-dehors, l’autre se répandît au-dedans et retombât sur le cœur comme autant de gouttes de fiel.

Il prétendait adorer Agnelette.

Il se lamentait de l’avoir perdue.

Mais sa tendresse de furieux se fût volontiers arrangée de la voir tomber morte avec son fiancé au pied de l’autel où le prêtre allait les unir.

Par bonheur, Dieu, qui réservait les deux enfants à d’autres épreuves, ne permit point que le souhait fatal se formulât dans l’esprit de Thibault.