Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais, aidé par toi, en combinant ces souhaits, je puis te faire riche comme une reine… Nous pouvons quitter le pays, la France, l’Europe ; il y a de grandes contrées que tu ne connais pas même de nom, Agnelette, qu’on appelle l’Amérique, qu’on appelle l’Inde. Ce sont des paradis, avec un ciel bleu, de grands arbres, des oiseaux de toute espèce. Agnelette, dis que tu veux me suivre ; personne ne saura que nous sommes partis ensemble, personne ne saura où nous sommes, personne ne saura que nous nous aimons, personne ne saura même que nous vivons.

– Fuir avec vous, Thibault ! dit Agnelette en regardant le meneur de loups comme si elle n’avait compris qu’à moitié ce qu’il lui disait ; mais ignorez-vous donc que je ne m’appartiens plus ? Ne savez-vous pas que je suis mariée ?

– Qu’importe, dit Thibault, si c’est moi que tu aimes et si nous pouvons vivre heureux !

– Oh ! Thibault ! Thibault ! que dites-vous !

– Écoute, reprit Thibault, je vais te parler au nom de ce monde et de l’autre. Veux-tu sauver à la fois et mon corps et mon âme, Agnelette ? Ne me résiste pas, aie pitié de moi, viens avec moi ; partons ! Allons quelque part où l’on n’entende plus ces hurlements, où l’on ne respire plus cette odeur de chair saignante ; et, si d’être riche et grande dame t’épouvante, quelque part où je puisse redevenir Thibault l’ouvrier, Thibault pauvre, mais Thibault aimé, et, par conséquent, Thibault heureux dans ses rudes labeurs, quelque part où Agnelette n’ait pas d’autre époux que moi.

– Thibault ! Thibault ! j’étais prête à devenir votre femme, et vous m’avez dédaignée !

– Agnelette, ne me rappelle pas des torts dont je suis puni si cruellement.

– Thibault, un autre a fait ce que vous ne vouliez