Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/289

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Thibault, malgré tout ce que l’on raconte de terrible sur vous, je n’ai plus peur réellement ; car il me semble que vous ne pouvez point me vouloir de mal, et je traversais hardiment le bois, lorsque cette horrible bête, dont vous m’avez délivrée, s’est jetée sur moi.

– Mais comment étiez-vous du côté de votre ancienne demeure ? n’habitez-vous point avec votre mari ?

– C’est vrai, nous avons habité Vez quelque temps ; mais, à Vez, il n’y avait point de place pour la vieille mère aveugle. Alors, j’ai dit à mon mari : « La grand-mère avant tout ; je retourne près d’elle. Quand vous voudrez me voir, vous viendrez. »

– Et il a consenti ?

– Il ne voulait pas d’abord, mais je lui ai fait observer que la grand-mère a soixante-dix ans ; qu’en lui donnant deux ou trois ans à vivre encore, Dieu veuille que je me trompe ! c’étaient deux ou trois ans de gêne, voilà tout ; tandis que nous, selon toute probabilité, nous avions de longues années à vivre. Alors il a compris qu’il fallait donner à celui qui avait le moins.

Mais, au milieu de cette explication d’Agnelette, Thibault n’avait suivi qu’une seule pensée : c’est que l’amour qu’elle avait autrefois éprouvé pour lui n’était point éteint dans son cœur.

– Ainsi, dit Thibault, vous m’aimiez ? Ainsi, Agnelette, vous pourriez m’aimer encore ?…

– Mais non, c’est impossible, puisque j’appartiens à un autre.

– Agnelette ! Agnelette ! dites seulement que vous m’aimez !

– Mais, au contraire, si je vous aimais, je ferais tout au monde pour vous le cacher.

– Pourquoi ? s’écria Thibault, pourquoi donc ? Tu ne connais pas ma puissance. Je sais bien qu’il ne me reste peut-être plus qu’un ou deux souhaits à faire ;