Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/82

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ténèbres lui faisait instinctivement peur, il essaya de prier ; mais, lorsqu’il voulut porter la main à son front pour faire le signe de la croix, son bras refusa de plier, et, bien que jusqu’alors il l’eût récité tous les jours, il ne put se remettre en mémoire un seul mot de l’Ave Maria.

En même temps qu’il tentait ces deux efforts infructueux, il se faisait dans la cervelle du pauvre Thibault un effrayant remue-ménage.

Les mauvaises pensées lui revenaient si abondamment, qu’il lui semblait ouïr leur murmure à son oreille, comme on entend le murmure des flots quand monte la marée, ou le bruit des branches froissées quand le vent d’hiver passe dans les branches dépouillées de leurs feuilles.

– Après tout, murmura-t-il, le front pâle et l’œil fixe, que ce daim me vienne de Dieu ou du diable, c’est toujours une bonne aubaine, et bien fou serais-je de secouer mon sarrau lorsque la manne y tombe. Si je crains que cette bique ne soit viande d’enfer, rien ne m’oblige à la manger ; d’ailleurs, je ne la pourrai pas manger tout seul, et ceux que j’inviterais à la manger avec moi me dénonceraient ; mais je puis la conduire toute vivante au couvent des religieuses de Saint-Rémy, dont la dame abbesse me l’achètera bien cher pour divertir ses nonnes ; l’air d’un lieu saint la purifiera, et la poignée de bons écus bénits que je recevrai en paiement ne peut mettre mon âme en péril.

Combien de jours ne me faudra-t-il pas suer au travail et virer la tarière pour gagner le quart de ce que je recevrai sans prendre autre peine que de conduire la bête à son nouveau bercail ! Décidément, mieux vaut diable qui vous protège qu’ange du ciel qui vous abandonne. Si messire Satan veut me conduire trop loin, il sera toujours temps de me tirer de ses griffes ;