Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/83

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je ne suis pas un enfant, de par Dieu ! ni un agnelet comme Georgine, et je sais marcher devant moi et aller où je veux.

Il oubliait, le malheureux, qui prétendait marcher devant lui et aller où il voulait, que, cinq minutes auparavant, il n’avait pu conduire sa main jusqu’à son front.

Thibault se donna à lui-même tant de raisons si bonnes et si concluantes, qu’il résolut de garder le daim, de quelque part qu’il lui fût venu, et décida même que le prix qu’il en recevrait serait consacré à acheter la robe de noce de sa fiancée.

Car, par un étrange retour de mémoire, son souvenir se fixait sur Agnelette.

Il la voyait vêtue d’une longue robe blanche avec une couronne de lis blancs au front et un grand voile.

Il lui semblait que, s’il avait dans sa maison un si gentil ange gardien, le diable, si fort ou si rusé qu’il fût, n’oserait jamais en franchir la porte.

– Bon ! dit-il, c’est encore un moyen : si messire Satan me tourmente par trop, je cours demander l’Agnelette à sa grand-mère, je l’épouse, et, si je ne me rappelle plus mes prières et ne puis plus faire le signe de la croix, j’aurai une belle petite femme qui ne sera pas engagée avec Satan et qui fera tout cela pour moi.

Et, sur cette espèce de compromis, pour que le daim ne perdît rien de sa valeur et restât digne des saintes dames auxquelles il comptait le vendre, Thibault, à peu près rassuré, alla garnir le râtelier de fourrage et s’assurer que la litière était assez épaisse pour que l’animal pût y reposer moelleusement.

La nuit se passa sans nouvel incident et même sans mauvais rêve.

Le lendemain, le seigneur Jean chassait encore.