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nant la parole, vous remercierez M. le prince de Condé, et vous lui exprimerez toute ma reconnaissance pour le plaisir qu’il me fait.

Raoul s’inclina.

— Quel jour arrive Sa Majesté ? continua le prince.

— Le roi, Monseigneur, arrivera ce soir, selon toute probabilité.

— Mais, comment alors aurait-on su ma réponse, au cas où elle eût été négative ?

— J’avais mission, Monseigneur, de retourner en toute hâte à Beaugency pour donner contre-ordre au courrier, qui fût lui-même retourné en arrière donner contre-ordre à M. le prince.

— Sa Majesté est donc à Orléans ?

— Plus près, Monseigneur ; Sa Majesté doit être arrivée à Meung en ce moment.

— La cour l’accompagne ?

— Oui, Monseigneur.

— À propos, j’oubliais de vous demander des nouvelles de M. le cardinal.

— Son Éminence paraît jouir d’une bonne santé, Monseigneur.

— Ses nièces l’accompagnent sans doute ?

— Non, Monseigneur ; Son Éminence a ordonné à mesdemoiselles de Mancini de partir pour Brouage. Elles suivent la rive gauche de la Loire pendant que la cour vient par la rive droite.

— Quoi ! mademoiselle Marie de Mancini quitte aussi la cour ? demanda Monsieur, dont la réserve commençait à s’affaiblir.

— Mademoiselle Marie de Mancini surtout, répondit discrètement Raoul.

Un sourire fugitif, vestige imperceptible de son ancien esprit d’intrigues brouillonnes, éclaira les joues pâles du prince.

— Merci, monsieur de Bragelonne, dit alors Monsieur ; vous ne voudrez peut-être pas rendre à M. le prince la commission dont je voudrais vous charger, à savoir que son messager m’a été fort agréable : mais je le lui dirai moi-même.

Raoul s’inclina pour remercier Monsieur de l’honneur qu’il lui faisait.

Monseigneur fit un signe à Madame, qui frappa sur un timbre placé à sa droite.

Aussitôt M. de Saint-Remy entra, et la chambre se remplit de monde.

— Messieurs, dit le prince, Sa Majesté me fait l’honneur de venir passer un jour à Blois ; je compte que le roi, mon neveu, n’aura pas à se repentir de la faveur qu’il fait à ma maison.

— Vive le roi ! s’écrièrent avec un enthousiasme frénétique les officiers de service, et M. de Saint-Remy avant tous.

Gaston baissa la tête avec une sombre tristesse ; toute sa vie, il avait dû entendre ou plutôt subir ce cri de : Vive le roi ! qui passait au-dessus de lui. Depuis longtemps, ne l’entendant plus, il avait reposé son oreille, et voilà qu’une royauté plus jeune, plus vivace, plus brillante, surgissait devant lui comme une nouvelle, comme une plus douloureuse provocation.

Madame comprit les souffrances de ce cœur timide et ombrageux ; elle se leva de table, Monsieur l’imita machinalement, et tous les serviteurs, avec un bourdonnement semblable à celui des ruches, entourèrent Raoul pour le questionner.

Madame vit ce mouvement et appela M. de Saint-Remy.

— Ce n’est pas le moment de jaser, mais de travailler, dit-elle avec l’accent d’une ménagère qui se fâche.

M. de Saint-Remy s’empressa de rompre le cercle formé par les officiers autour de Raoul, en sorte que celui-ci put gagner l’antichambre.

— On aura soin de ce gentilhomme, j’espère, ajouta Madame en s’adressant à M. de Saint-Remy.

Le bonhomme courut aussitôt derrière Raoul.

Madame nous charge de vous faire rafraîchir ici, dit-il ; il y a en outre un logement au château pour vous.

— Merci, Monsieur de Saint-Remy, répondit Bragelonne, vous savez combien il me tarde d’aller présenter mes devoirs à M. le comte mon père.

— C’est vrai, c’est vrai, monsieur Raoul, présentez-lui en même temps mes bien humbles respects, je vous prie.

Raoul se débarrassa encore du vieux gentilhomme et continua son chemin.

Comme il passait sous le porche tenant son cheval par la bride, une petite voix l’appela du fond d’une allée obscure.

— Monsieur Raoul ! dit la voix.

Le jeune homme se retourna surpris, et vit une jeune fille brune qui appuyait un doigt sur ses lèvres et qui lui tendait la main. Cette jeune fille lui était inconnue.



III

L’ENTREVUE


Raoul fit un pas vers la jeune fille qui l’appelait ainsi.

— Mais mon cheval, Madame ? dit-il.

— Vous voilà bien embarrassé ! Sortez ; il y a un hangar dans la première cour, attachez là votre cheval et venez vite.

— J’obéis, Madame.

Raoul ne fut pas quatre minutes à faire ce qu’on lui avait recommandé ; il revint à la petite porte, où, dans l’obscurité, il revit sa conductrice mystérieuse qui l’attendait sur les premiers degrés d’un escalier tournant.

— Êtes-vous assez brave pour me suivre, monsieur le chevalier errant ? demanda la jeune fille en riant du moment d’hésitation qu’avait manifesté Raoul.

Celui-ci répondit en s’élançant derrière elle dans l’escalier sombre. Ils gravirent ainsi trois étages, lui derrière elle, effleurant de ses mains, lorsqu’il cherchait la rampe, une robe de soie qui frôlait aux deux parois de l’escalier. À chaque faux pas de Raoul, sa conductrice lui criait un chut ! sévère et lui tendait une main douce et parfumée.

— On monterait ainsi jusqu’au donjon du château sans s’apercevoir de la fatigue, dit Raoul.

— Ce qui signifie, Monsieur, que vous êtes fort intrigué, fort las et fort inquiet ; mais rassurez-vous, nous voici arrivés.