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La jeune fille poussa une porte qui, sur-le-champ, sans transition aucune, emplit d’un flot de lumière le palier de l’escalier au haut duquel Raoul apparaissait, tenant la rampe.

La jeune fille marchait toujours, il la suivit ; elle entra dans une chambre, Raoul entra comme elle.

Aussitôt qu’il fut dans le piége, il entendit pousser un grand cri, se retourna, et vit à deux pas de lui, les mains jointes, les yeux fermés, cette belle jeune fille blonde, aux prunelles bleues, aux blanches épaules, qui, le reconnaissant, l’avait appelé Raoul.

Il la vit et devina tant d’amour, tant de bonheur dans l’expression de ses yeux, qu’il se laissa tomber à genoux tout au milieu de la chambre, en murmurant de son côté le nom de Louise.

— Ah ! Montalais ! Montalais ! soupira celle-ci, c’est un grand péché que de tromper ainsi.

— Moi ! Je vous ai trompée ?

— Oui, vous me dites que vous allez savoir en bas des nouvelles, et vous faites monter ici Monsieur !

— Il le fallait bien. Comment eût-il reçu sans cela la lettre que vous lui écriviez ?

Et elle désignait du doigt cette lettre qui était encore sur la table. Raoul fit un pas pour la prendre ; Louise, plus rapide, bien qu’elle se fût élancée avec une hésitation physique assez remarquable, allongea la main pour l’arrêter. Raoul rencontra donc cette main toute tiède et toute tremblante ; il la prit dans les siennes et l’approcha si respectueusement de ses lèvres, qu’il y déposa un souffle plutôt qu’un baiser.

Pendant ce temps, mademoiselle de Montalais avait pris la lettre, l’avait pliée soigneusement, comme font les femmes, en trois plis, et l’avait glissée dans sa poitrine.

— N’ayez pas peur, Louise, dit-elle ; Monsieur n’ira pas plus la prendre ici, que le défunt roi Louis XIII ne prenait les billets dans le corsage de mademoiselle de Hautefort.

Raoul rougit en voyant le sourire des deux jeunes filles, et il ne remarqua pas que la main de Louise était restée entre les siennes.

— Là ! dit Montalais, vous m’avez pardonné, Louise, de vous avoir amené Monsieur ; vous, Monsieur, vous ne m’en voulez plus de m’avoir suivie pour voir Mademoiselle. Donc, maintenant que la paix est faite, causons comme de vieux amis. Présentez-moi, Louise, à M. de Bragelonne.

— Monsieur le vicomte, dit Louise avec sa grâce sérieuse et son candide sourire, j’ai l’honneur de vous présenter mademoiselle Aure de Montalais, jeune fille d’honneur de Son Altesse Royale Madame, et de plus mon amie, mon excellente amie.

Raoul salua cérémonieusement.

— Et moi, Louise, dit-il, ne me présentez-vous pas aussi à Mademoiselle ?

— Oh ! elle vous connaît ! elle connaît tout !

Ce mot naïf fit rire Montalais et soupirer de bonheur Raoul, qui l’avait interprété ainsi : Elle connaît tout notre amour.

— Les politesses sont faites, monsieur le vicomte, dit Montalais ; voici un fauteuil, et dites-nous bien vite la nouvelle que vous nous apportez ainsi courant.

— Mademoiselle, ce n’est plus un secret. Le roi, se rendant à Poitiers, s’arrête à Blois pour visiter Son Altesse Royale.

— Le roi ici ! s’écria Montalais en frappant ses mains l’une contre l’autre ; nous allons voir la cour ! Concevez-vous cela, Louise ? la vraie cour de Paris ! Oh ! mon Dieu ! Mais quand cela, Monsieur ?

— Peut-être ce soir, mademoiselle ; assurément demain.

Montalais fit un geste de dépit.

— Pas le temps de s’ajuster ! pas le temps de préparer une robe ! Nous sommes ici en retard comme des Polonaises ! Nous allons ressembler à des portraits du temps de Henri IV !… Ah ! Monsieur, la méchante nouvelle que vous nous apportez là !

— Mesdemoiselles, vous serez toujours belles.

— C’est fade !… nous serons toujours belles, oui, parce que la nature nous a faites passables ; mais nous serons ridicules, parce que la mode nous aura oubliées… Hélas ! ridicules ! l’on me verra ridicule, moi !

— Qui cela ? dit naïvement Louise.

— Qui cela ? vous êtes étrange, ma chère !… Est-ce une question à m’adresser ? On, veut dire tout le monde ; on, veut dire les courtisans, les seigneurs ; on, veut dire le roi.

— Pardon, ma bonne amie, mais comme ici tout le monde a l’habitude de nous voir telles que nous sommes…

— D’accord ; mais cela va changer, et nous serons ridicules, même pour Blois ; car près de nous on va voir les modes de Paris, et l’on comprendra que nous sommes à la mode de Blois ! C’est désespérant !

— Consolez-vous, Mademoiselle.

— Ah bast ! au fait, tant pis pour ceux qui ne me trouveront pas à leur goût ! dit philosophiquement Montalais.

— Ceux-là seraient bien difficiles, répliqua Raoul, fidèle à son système de galanterie régulière.

— Merci, monsieur le vicomte. Nous disions donc que le roi vient à Blois ?

— Avec toute la cour.

— Mesdemoiselles de Mancini y seront-elles ?

— Non pas, justement.

— Mais puisque le roi, dit-on, ne peut se passer de mademoiselle Marie ?

— Mademoiselle, il faudra bien que le roi s’en passe. M. le cardinal le veut. Il exile ses nièces à Brouage.

— Lui ! l’hypocrite !

— Chut ! dit Louise en collant son doigt sur ses lèvres roses.

— Bah ! personne ne peut m’entendre. Je dis que le vieux Mazarino Mazarini est un hypocrite qui grille de faire sa nièce reine de France.

— Mais non, Mademoiselle, puisque M. le cardinal, au contraire, fait épouser à Sa Majesté l’infante Marie-Thérèse.

Montalais regarda en face Raoul et lui dit :

— Vous croyez à ces contes, vous autres Pari-