Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/167

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d’œil furtif sur une horloge placée en face de lui.

C’est que Fouquet se donnait sa tâche ; c’est que, cette tâche une fois donnée, en une heure de travail il faisait, lui, ce qu’un autre n’eût point accompli dans sa journée : toujours certain, par conséquent, pourvu qu’il ne fût point dérangé, d’arriver au but dans le délai que son activité dévorante avait fixé. Mais, au milieu de ce travail ardent, les coups secs du petit timbre placé derrière la glace retentirent encore une fois, plus pressés, et par conséquent plus instants.

— Allons, il paraît que la dame s’impatiente, dit Fouquet ; voyons, voyons, du calme, ce doit être la comtesse ; mais non, la comtesse est à Rambouillet pour trois jours. La présidente, alors. Oh ! la présidente ne prendrait point de ces grands airs ; elle sonnerait bien humblement, puis elle attendrait mon bon plaisir. Le plus clair de tout cela, c’est que je ne puis savoir qui cela peut être, mais que je sais bien qui cela n’est pas. Et puisque ce n’est pas vous, marquise, puisque ce ne peut être vous, foin de tout autre !

Et il poursuivit sa besogne, malgré les appels réitérés du timbre. Cependant, au bout d’un quart d’heure, l’impatience gagna Fouquet à son tour ; il brûla plutôt qu’il n’acheva le reste de son ouvrage, repoussa ses papiers dans le portefeuille, et donnant un coup d’œil à son miroir, tandis que les petits coups continuaient plus pressés que jamais :

— Oh ! oh ! dit-il, d’où vient cette fougue ? Qu’est-il arrivé ? Et quelle est l’Ariane qui m’attend avec une pareille impatience ? Voyons.

Alors il appuya le bout de son doigt sur le clou parallèle à celui qu’il avait tiré. Aussitôt la glace joua comme le battant d’une porte et découvrit un placard assez profond, dans lequel le surintendant disparut comme dans une vaste boîte. Là, il poussa un nouveau ressort, qui ouvrit, non pas une planche, mais un bloc de muraille, et sortit par cette tranchée, laissant la porte se refermer d’elle-même.

Alors Fouquet descendit une vingtaine de marches qui s’enfonçaient en tournoyant sous la terre, et trouva un long souterrain dallé et éclairé par des meurtrières imperceptibles. Les parois de ce souterrain étaient couvertes de dalles, et le sol de tapis.

Ce souterrain passait sous la rue même qui séparait la maison de Fouquet du parc de Vincennes. Au bout du souterrain tournoyait un escalier parallèle à celui par lequel Fouquet était descendu. Il monta cet autre escalier, entra par le moyen d’un ressort posé dans un placard semblable à celui de son cabinet, et, de ce placard, il passa dans une chambre absolument vide, quoique meublée avec une suprême élégance.

Une fois entré, il examina soigneusement si la glace fermait sans laisser de trace, et, content sans doute de son observation, il alla ouvrir, à l’aide d’une petite clé de vermeil, les triples tours d’une porte située en face de lui.

Cette fois, la porte ouvrait sur un beau cabinet meublé somptueusement et dans lequel se tenait assise, sur des coussins, une femme d’une beauté suprême, qui, au bruit des verrous, se précipita vers Fouquet.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria celui-ci reculant d’étonnement : madame la marquise de Bellière, vous, vous ici !

— Oui, murmura la marquise ; oui, moi, Monsieur.

— Marquise, chère marquise, ajouta Fouquet prêt à se prosterner. Ah ! mon Dieu ! mais comment donc êtes-vous venue ? Et moi qui vous ai fait attendre !

— Bien longtemps, Monsieur, oh ! oui, bien longtemps.

— Je suis assez heureux pour que cette attente vous ait duré, marquise ?

— Une éternité, Monsieur ; oh ! j’ai sonné plus de vingt fois ; n’entendiez-vous pas ?

— Marquise, vous êtes pâle, vous êtes tremblante.

— N’entendiez-vous donc pas qu’on vous appelait ?

— Oh ! si fait, j’entendais bien, Madame ; mais je ne pouvais venir. Comment supposer que ce fût vous, après vos rigueurs, après vos refus ? Si j’avais pu soupçonner le bonheur qui m’attendait, croyez-le bien, marquise, j’eusse tout quitté pour venir tomber à vos genoux, comme je le fais en ce moment.

La marquise regarda autour d’elle.

— Sommes-nous bien seuls, Monsieur ? demanda-t-elle.

— Oh ! oui, Madame, je vous en réponds.

— En effet, dit la marquise tristement.

— Vous soupirez ?

— Que de mystères, que de précautions, dit la marquise avec une légère amertume, et comme on voit que vous craignez de laisser soupçonner vos amours !

— Aimeriez-vous mieux que je les affichasse ?

— Oh ! non, et c’est d’un homme délicat, dit la marquise en souriant.

— Voyons, voyons, marquise, pas de reproches, je vous en supplie !

— Des reproches, ai-je le droit de vous en faire ?

— Non, malheureusement non ; mais, dites-moi, vous, que depuis un an j’aime sans retour et sans espoir…

— Vous vous trompez : sans espoir, c’est vrai ; mais sans retour, non.

— Oh ! pour moi, à l’amour, il n’y a qu’une preuve, et cette preuve, je l’attends encore.

— Je viens vous l’apporter, Monsieur.

Fouquet voulut entourer la marquise de ses bras, mais elle se dégagea d’un geste.

— Vous tromperez-vous donc toujours, Monsieur, et n’accepterez-vous pas de moi la seule chose que je veuille vous donner, le dévouement ?

— Ah ! vous ne m’aimez pas, alors ; le dévouement n’est qu’une vertu, l’amour est une passion.

— Écoutez-moi, Monsieur, je vous en supplie ; je ne serais pas venue ici sans un motif grave, vous le comprenez bien.

— Peu m’importe le motif, puisque vous voilà, puisque je vous parle, puisque je vous vois.

— Oui, vous avez raison, le principal est que