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— Prenez garde, messieurs, s’écria de Guiche pour couper court à la réponse du chevalier ; prenez garde, madame nous écoute.

Raoul enfonçait sa main jusqu’au poignet dans son justaucorps et ravageait sa poitrine et ses dentelles.

Mais justement cet acharnement qu’il voyait se dresser contre de pauvres femmes lui fit prendre une résolution sérieuse.

— Cette pauvre Louise, se dit-il à lui-même, n’est venue ici que dans un but honorable et sous une honorable protection ; mais il faut que je connaisse ce but ; il faut que je sache qui la protège.

Et, imitant la manœuvre de Malicorne, il se dirigea vers le groupe des filles d’honneur.

Bientôt la présentation fut terminée. Le roi, qui n’avait cessé de regarder et d’admirer Madame, sortit alors de la salle de réception avec les deux reines.

Le chevalier de Lorraine reprit sa place à côté de Monsieur, et, tout en l’accompagnant, il lui glissa dans l’oreille quelques gouttes de ce poison qu’il avait amassé depuis une heure, en regardant de nouveaux visages et en soupçonnant quelques cœurs d’être heureux.

Le roi, en sortant, avait entraîné derrière lui une partie des assistants ; mais ceux qui, parmi les courtisans, faisaient profession d’indépendance ou de galanterie, commencèrent à s’approcher des dames.

M. le Prince complimenta mademoiselle de Tonnay-Charente. Buckingham fit la cour à mademoiselle de Chalais et à mademoiselle de Lafayette, que déjà Madame avait distinguées et qu’elle aimait. Quant au comte de Guiche, abandonnant Monsieur depuis qu’il pouvait se rapprocher seul de Madame, il s’entretenait vivement avec mademoiselle de Valentinois, sa sœur, et mesdemoiselles de Créquy et de Châtillon.

Au milieu de tous ces intérêts politiques ou amoureux, Malicorne voulait s’emparer de Montalais ; mais celle-ci aimait bien mieux causer avec Raoul, ne fût-ce que pour jouir de toutes ses questions et de toutes ses surprises.

Raoul était allé droit à mademoiselle de La Vallière, et l’avait saluée avec le plus profond respect.

Ce que voyant, Louise rougit et balbutia ; mais Montalais s’empressa de venir à son secours.

— Eh bien ! dit-elle, nous voilà, monsieur le vicomte.

— Je vous vois bien, dit en souriant Raoul, et c’est justement sur votre présence que je viens vous demander une petite explication.

Malicorne s’approcha avec son plus charmant sourire.

— Éloignez-vous donc, monsieur Malicorne, dit Montalais. En vérité, vous êtes fort indiscret.

Malicorne se pinça les lèvres et fit deux pas en arrière sans dire un seul mot.

Seulement, son sourire changea d’expression, et, d’ouvert qu’il était, devint railleur.

— Vous voulez une explication, monsieur Raoul ? demanda Montalais.

— Certainement, la chose en vaut bien la peine ; mademoiselle de la Vallière fille d’honneur de Madame !

— Pourquoi ne serait-elle pas fille d’honneur aussi bien que moi ? demanda Montalais.

— Recevez mes compliments, mesdemoiselles, dit Raoul, qui crut s’apercevoir qu’on ne voulait pas lui répondre directement.

— Vous dites cela d’un air fort complimenteur, monsieur le vicomte.

— Moi ?

— Dame ? j’en appelle à Louise.

— Monsieur de Bragelonne pense peut-être que la place est au-dessus de ma condition, dit Louise en balbutiant.

— Oh ! non pas, mademoiselle, répliqua vivement Raoul : vous savez très-bien que tel n’est pas mon sentiment ; je ne m’étonnerais pas que vous occupassiez la place d’une reine, à plus forte raison celle-ci. La seule chose dont je m’étonne, c’est de l’avoir appris aujourd’hui seulement et par accident.

— Ah ! c’est vrai, répondit Montalais avec son étourderie ordinaire. Tu ne comprends rien à cela, et, en effet, tu n’y dois rien comprendre. M. de Bragelonne t’avait écrit quatre lettres, mais ta mère seule était restée à Blois ; il fallait éviter que ces lettres ne tombassent entre ses mains ; je les ai interceptées et renvoyées à M. Raoul, de sorte qu’il te croyait à Blois quand tu étais à Paris, et ne savait pas surtout que tu fusses montée en dignité.

— Eh quoi ! tu n’avais pas fait prévenir M. Raoul comme je t’en avais priée ? s’écria Louise.

— Bon ! pour qu’il fit de l’austérité, pour qu’il prononçât des maximes, pour qu’il défît ce que nous avions eu tant de peine à faire ? Ah ! non certes.

— Je suis donc bien sévère ? demanda Raoul.

— D’ailleurs, fit Montalais, cela me convenait ainsi. Je partais pour Paris, vous n’étiez pas là, Louise pleurait à chaudes larmes ; interprétez cela comme vous voudrez ; j’ai prié mon protecteur, celui qui m’avait fait obtenir mon brevet, d’en demander un pour Louise ; le brevet est venu. Louise est partie pour commander ses habits ; moi, je suis restée en arrière, attendu que j’avais les miens ; j’ai reçu vos lettres, je vous les ai renvoyées en y ajoutant un mot qui vous promettait une surprise. Votre surprise, mon cher monsieur, la voilà ; elle me paraît bonne, ne demandez pas autre chose. Allons, monsieur Malicorne, il est temps que nous laissions ces jeunes gens ensemble ; ils ont une foule de choses à se dire ; donnez-moi votre main : j’espère que voilà un grand honneur que l’on vous fait, monsieur Malicorne.

— Pardon, mademoiselle, fit Raoul en arrêtant la folle jeune fille et en donnant à ses paroles une intonation dont la gravité contrastait avec celles de Montalais ; pardon, mais pourrais-je savoir le nom de ce protecteur ; car si l’on vous protège, vous, mademoiselle, et avec toutes sortes de raisons…

Raoul s’inclina.

— Je ne vois pas les mêmes raisons pour que mademoiselle de La Vallière soit protégée.

— Mon Dieu ! monsieur Raoul, dit naïve-