Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/273

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ment Louise, la chose est bien simple, et je ne vois pas pourquoi je ne vous le dirais pas moi-même… Mon protecteur, c’est M. Malicorne.

Raoul resta un instant stupéfait, se demandant si l’on se jouait de lui ; puis il se retourna pour interpeller Malicorne. Mais celui-ci était déjà loin, entraîné qu’il était par Montalais.

Mademoiselle de La Vallière fit un mouvement pour suivre son amie ; mais Raoul la retint avec une douce autorité.

— Je vous en supplie, Louise, dit-il, un mot.

— Mais, monsieur Raoul, dit Louise toute rougissante, nous sommes seuls… Tout le monde est parti… On va s’inquiéter, nous chercher.

— Ne craignez rien, dit le jeune homme en souriant, nous ne sommes ni l’un ni l’autre des personnages assez importants pour que notre absence se remarque.

— Mais mon service, monsieur Raoul ?

— Tranquillisez-vous, Mademoiselle, je connais les usages de la cour ; votre service ne doit commencer que demain ; il vous reste donc quelques minutes, pendant lesquelles vous pouvez me donner l’éclaircissement que je vais avoir l’honneur de vous demander.

— Comme vous êtes sérieux, monsieur Raoul ! dit Louise tout inquiète.

— C’est que la circonstance est sérieuse, Mademoiselle. M’écoutez-vous ?

— Je vous écoute ; seulement, Monsieur, je vous le répète, nous sommes bien seuls.

— Vous avez raison, dit Raoul.

Et, lui offrant la main, il conduisit la jeune fille dans la galerie voisine de la salle de réception, et dont les fenêtres donnaient sur la place.

Tout le monde se pressait à la fenêtre du milieu, qui avait un balcon extérieur d’où l’on pouvait voir dans tous leurs détails les lents préparatifs du départ.

Raoul ouvrit une des fenêtres latérales, et là, seul avec mademoiselle de La Vallière :

— Louise, dit-il, vous savez que, dès mon enfance, je vous ai chérie comme une sœur et que vous avez été la confidente de tous mes chagrins, la dépositaire de toutes mes espérances.

— Oui, répondit-elle bien bas, oui, monsieur Raoul, je sais cela.

— Vous aviez l’habitude, de votre côté, de me témoigner la même amitié, la même confiance ; pourquoi, en cette rencontre, n’avez-vous pas été mon amie ? pourquoi vous êtes-vous défiée de moi.

La Vallière ne répondit point.

— J’ai cru que vous m’aimiez, dit Raoul, dont la voix devenait de plus en plus tremblante ; j’ai cru que vous aviez consenti à tous les plans faits en commun pour notre bonheur, alors que tous deux nous nous promenions dans les grandes allées de Cour-Cheverny et sous les peupliers de l’avenue qui conduit à Blois. Vous ne répondez pas, Louise ?

Il s’interrompit.

— Serait-ce, demanda-t-il en respirant à peine, que vous ne m’aimeriez plus ?

— Je ne dis point cela, répliqua tout bas Louise.

— Oh ! dites-le-moi bien, je vous en prie ; j’ai mis tout l’espoir de ma vie en vous, je vous ai choisie pour vos habitudes douces et simples. Ne vous laissez pas éblouir, Louise, à présent que vous voilà au milieu de la cour, où tout ce qui est jeune vieillit vite. Louise, fermez vos yeux pour ne pas voir les exemples, fermez vos lèvres pour ne point respirer les souffles corrupteurs. Sans mensonges, sans détours, Louise, faut-il que je croie ces mots de mademoiselle de Montalais ? Louise, êtes-vous venue à Paris parce que je n’étais plus à Blois ?

La Vallière rougit et cacha son visage dans ses mains.

— Oui, n’est-ce pas, s’écria Raoul exalté, oui, c’est pour cela que vous êtes venue ? Oh ! je vous aime comme je vous ai aimée ! Merci, Louise, de ce dévouement ; mais il faut que je prenne un parti pour vous mettre à couvert de toute insulte, pour vous garantir de toute tache ; Louise, une fille d’honneur, à la cour d’une jeune princesse, en ce temps de mœurs faciles et d’inconstantes amours, une fille d’honneur est placée dans le centre des attaques sans aucune défense ; cette condition ne peut vous convenir : il faut que vous soyez mariée pour être respectée.

— Mariée ?

— Oui.

— Mon Dieu !

— Voici ma main, Louise, laissez-y tomber la vôtre.

— Mais votre père ?

— Mon père me laisse libre.

— Cependant…

— Je comprends ce scrupule, Louise ; je consulterai mon père.

— Oh ! monsieur Raoul, réfléchissez, attendez.

— Attendre, c’est impossible ; réfléchir, Louise, réfléchir, quand il s’agit de vous ! ce serait vous insulter ; votre main, chère Louise, je suis maître de moi ; mon père dira oui, je vous le promets ; votre main, ne me faites point attendre ainsi, répondez vite un mot, un seul, sinon je croirais que, pour vous changer à jamais, il a suffi d’un seul pas dans le palais, d’un seul souffle de la faveur, d’un seul sourire des reines, d’un seul regard du roi.

Raoul n’avait pas prononcé ce dernier mot que La Vallière était devenue pâle comme la mort, sans doute par la crainte qu’elle avait de voir s’exalter le jeune homme.

Aussi, par un mouvement rapide comme la pensée, jeta-t-elle ses deux mains dans celles de Raoul.

Puis elle s’enfuit sans ajouter une syllabe et disparut sans avoir regardé en arrière.

Raoul sentit son corps frissonner au contact de cette main.

Il reçut le serment, comme un serment solennel arraché par l’amour à la timidité virginale.


XC

LE CONSENTEMENT D’ATHOS.


Raoul était sorti du Palais-Royal avec des idées qui n’admettaient point de délais dans leur exécution.