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Anne d’Autriche écrivait lorsque Monsieur entra.

La reine mère aimait beaucoup ce fils, qui était beau de visage et doux de caractère.

Monsieur, en effet, était plus tendre et, si l’on veut, plus efféminé que le roi.

Il avait pris sa mère par les petites sensibleries de femme, qui plaisent toujours aux femmes ; Anne d’Autriche, qui eût fort aimé avoir une fille, trouvait presque en ce fils les attentions, les petits soins et les mignardises d’un enfant de douze ans.

Ainsi, Monsieur employait tout le temps qu’il passait chez sa mère à admirer ses beaux bras, à lui donner des conseils sur ses pâtes et des recettes sur ses essences, où elle se montrait fort recherchée ; puis il lui baisait les mains et les yeux avec un enfantillage charmant, avait toujours quelque sucrerie à lui offrir, quelque ajustement nouveau à lui recommander.

Anne d’Autriche aimait le roi, ou plutôt la royauté dans son fils aîné : Louis XIV lui représentait la légitimité divine. Elle était reine mère avec le roi ; elle était mère seulement avec Philippe.

Et ce dernier savait que, de tous les abris, le sein d’une mère est le plus doux et le plus sûr.

Aussi, tout enfant, allait-il se réfugier là quand des orages s’étaient élevés entre son frère et lui ; souvent après les gourmades qui constituaient de sa part des crimes de lèse-majesté, après les combats à coups de poings et d’ongles, que le roi et son sujet très-insoumis se livraient en chemise sur un lit contesté, ayant le valet de chambre Laporte pour tout juge du camp, Philippe vainqueur, mais épouvanté de sa victoire, était allé demander du renfort à sa mère, ou du moins l’assurance d’un pardon que Louis XIV n’accordait que difficilement et à distance.

Anne avait réussi, par cette habitude d’intervention pacifique, à concilier tous les différends de ses fils et à participer par la même occasion à tous leurs secrets.

Le roi, un peu jaloux de cette sollicitude maternelle qui s’épandait surtout sur son frère, se sentait disposé envers Anne d’Autriche à plus de soumission et de prévenances qu’il n’était dans son caractère d’en avoir.

Anne d’Autriche avait surtout pratiqué ce système de politique envers la jeune reine.

Aussi régnait-elle presque despotiquement sur le ménage royal, et dressait-elle déjà toutes ses batteries pour régner avec le même absolutisme sur le ménage de son second fils.

Anne d’Autriche était presque fière lorsqu’elle voyait entrer chez elle une mine allongée, des joues pâles et des yeux rouges, comprenant qu’il s’agissait d’un secours à donner au plus faible ou au plus mutin.

Elle écrivait, disons-nous, lorsque Monsieur entra dans son oratoire, non pas les yeux rouges, non pas les joues pâles, mais inquiet, dépité, agacé.

Il baisa distraitement les bras de sa mère, et s’assit avant qu’elle lui en eût donné l’autorisation.

Avec les habitudes d’étiquette établies à la cour d’Anne d’Autriche, cet oubli des convenances était un signe d’égarement, de la part surtout de Philippe, qui pratiquait si volontiers l’adulation du respect.

Mais, s’il manquait si notoirement à tous ces principes, c’est que la cause en devait être grave.

— Qu’avez-vous, Philippe ? demanda Anne d’Autriche en se tournant vers son fils.

— Ah ! Madame, bien des choses, murmura le prince d’un air dolent.

— Vous ressemblez, en effet, à un homme fort affairé, dit la reine en posant la plume dans l’écritoire.

Philippe fronça le sourcil, mais ne répondit point.

— Dans toutes les choses qui remplissent votre esprit, dit Anne d’Autriche, il doit cependant s’en trouver quelqu’une qui vous occupe plus que les autres ?

— Une, en effet, m’occupe plus que les autres, oui, Madame.

— Je vous écoute.

Philippe ouvrit la bouche pour donner passage à tous les griefs qui se passaient dans son esprit et semblaient n’attendre qu’une issue pour s’exhaler.

Mais tout à coup il se tut, et tout ce qu’il avait sur le cœur se résuma par un soupir.

— Voyons, Philippe, voyons, de la fermeté, dit la reine mère. Une chose dont on se plaint, c’est presque toujours une personne qui gêne, n’est-ce pas ?

— Je ne dis point cela, Madame.

— De qui voulez-vous parler ? Allons, allons, résumez-vous.

— Mais c’est qu’en vérité, Madame, ce que j’aurais à dire est fort discret.

— Ah ! mon Dieu !

— Sans doute ; car, enfin, une femme…

— Ah ! vous voulez parler de Madame ? demanda la reine mère avec un vif sentiment de curiosité.

— De Madame ?

— De votre femme, enfin.

— Oui, oui, j’entends.

— Eh bien ! si c’est de Madame que vous voulez me parler, mon fils, ne vous gênez pas. Je suis votre mère, et Madame n’est pour moi qu’une étrangère. Cependant, comme elle est ma bru, ne doutez point que je n’écoute avec intérêt, ne fût-ce que pour vous, tout ce que vous m’en direz.

— Voyons, à votre tour, Madame, dit Philippe, avouez-moi si vous n’avez pas remarqué quelque chose ?

— Quelque chose, Philippe ?… Vous avez des mots d’un vague effrayant… Quelque chose, et de quelle sorte est ce quelque chose ?

— Madame est jolie, enfin.

— Mais oui.

— Cependant, ce n’est point une beauté.

— Non ; mais, en grandissant, elle peut singulièrement embellir encore. Vous avez bien vu les changements que quelques années déjà ont apportés sur son visage. Eh bien ! elle se développera de plus en plus, elle n’a que seize ans. À quinze ans, moi aussi, j’étais fort maigre ; mais enfin, telle qu’elle est, Madame est jolie.