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Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/302

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vous continuez à être le plus fidèle des gens de parole ?

— En affaires, cher monsieur de Baisemeaux, l’exactitude n’est pas une vertu, c’est un simple devoir.

— Oui, en affaires, je comprends ; mais ce n’est point une affaire que vous faites avec moi, Monseigneur, c’est un service que vous me rendez.

— Allons, allons, cher monsieur Baisemeaux, avouez que, malgré cette exactitude, vous n’avez point été sans quelque inquiétude.

— Sur votre santé, oui, certainement, balbutia Baisemeaux.

— Je voulais venir hier, mais je n’ai pu, étant trop fatigué, continua Aramis.

Baisemeaux s’empressa de glisser un autre coussin sous les reins de son hôte.

— Mais, reprit Aramis, je me suis promis de venir vous visiter aujourd’hui de bon matin.

— Vous êtes excellent, Monseigneur.

— Et bien m’en a pris de ma diligence, ce me semble.

— Comment cela ?

— Oui, vous alliez sortir.

Baisemeaux rougit.

— En effet, dit-il, je sortais.

— Alors je vous dérange ?

L’embarras de Baisemeaux devint visible.

— Alors je vous gêne, continua Aramis, en fixant son regard incisif sur le pauvre gouverneur. Si j’eusse su cela, je ne fusse point venu.

— Ah ! Monseigneur, comment pouvez-vous croire que vous me gênez jamais, vous !

— Avouez que vous alliez en quête d’argent.

— Non ! balbutia Baisemeaux ; non, je vous le jure, j’allais…

— M. le gouverneur va-t-il toujours chez M. Fouquet ? cria d’en bas la voix du major.

Baisemeaux courut comme un fou à la fenêtre.

— Non, non, cria-t-il désespéré. Qui diable parle donc de M. Fouquet ? est-on ivre là-bas ? Pourquoi me dérange-t-on quand je suis en affaire ?

— Vous alliez chez M. Fouquet, dit Aramis en se pinçant les lèvres ; chez l’abbé ou chez le surintendant ?

Baisemeaux avait bonne envie de mentir, mais il n’en eut pas le courage.

— Chez M. le surintendant, dit-il.

— Alors, vous voyez bien que vous aviez besoin d’argent, puisque vous alliez chez celui qui en donne.

— Mais non, Monseigneur.

— Allons, vous vous défiez de moi.

— Mon cher seigneur, la seule incertitude, la seule ignorance où j’étais du lieu que vous habitez…

— Oh ! vous eussiez eu de l’argent chez M. Fouquet, cher monsieur Baisemeaux, c’est un homme qui a la main ouverte.

— Je vous jure que je n’eusse jamais osé demander de l’argent à M. Fouquet. Je lui voulais demander votre adresse, voilà tout.

— Mon adresse chez M. Fouquet ? s’écria Aramis en ouvrant malgré lui les yeux.

— Mais, fit Baisemeaux troublé par le regard du prélat, oui, sans doute, chez M. Fouquet.

— Il n’y a pas de mal à cela, cher monsieur Baisemeaux ; seulement, je me demande pourquoi chercher mon adresse chez M. Fouquet.

— Pour vous écrire.

— Je comprends, fit Aramis en souriant ; aussi, n’était-ce pas cela que je voulais dire ; je ne vous demande pas pour quoi faire vous cherchiez mon adresse, je vous demande à quel propos vous alliez la chercher chez M. Fouquet ?

— Ah ! dit Baisemeaux, parce que M. Fouquet ayant Belle-Isle…

— Eh bien ?

— Belle-Isle, qui est du diocèse de Vannes, et que, comme vous êtes évêque de Vannes…

— Cher monsieur de Baisemeaux, puisque vous saviez que j’étais évêque de Vannes, vous n’aviez point besoin de demander mon adresse à M. Fouquet.

— Enfin, Monsieur, dit Baisemeaux aux abois, ai-je commis une inconséquence ? En ce cas, je vous en demande bien pardon.

— Allons donc ! Et en quoi pouviez-vous avoir commis une inconséquence ? demanda tranquillement Aramis.

Et tout en rassérénant son visage, et tout en souriant au gouverneur, Aramis se demandait comment Baisemeaux, qui ne savait pas son adresse, savait cependant que Vannes était sa résidence.

— J’éclaircirai cela, dit-il en lui-même.

Puis tout haut :

— Voyons, mon cher gouverneur, dit-il, voulez-vous que nous fassions nos petits comptes ?

— À vos ordres, Monseigneur. Mais auparavant, dites-moi, Monseigneur…

— Quoi ?

— Ne me ferez-vous point l’honneur de déjeuner avec moi comme d’habitude ?

— Si fait, très-volontiers.

— À la bonne heure !

Baisemeaux frappa trois coups sur un timbre.

— Cela veut dire ? demanda Aramis.

— Que j’ai quelqu’un à déjeuner et que l’on agisse en conséquence.

— Ah ! diable ! Et vous frappez trois fois ! Vous m’avez l’air, savez-vous bien, mon cher gouverneur, de faire des façons avec moi ?

— Oh ! par exemple ! D’ailleurs, c’est bien le moins que je vous reçoive du mieux que je puis.

— À quel propos ?

— C’est qu’il n’y a pas de prince qui ait fait pour moi ce que vous avez fait, vous !

— Allons, encore !

— Non, non…

— Parlons d’autre chose. Ou plutôt, dites-moi, faites-vous vos affaires à la Bastille ?

— Mais oui.

— Le prisonnier donne donc ?

— Pas trop.

— Diable !

— M. de Mazarin n’était pas assez rude.

— Ah ! oui, il vous faudrait un gouvernement soupçonneux, notre ancien cardinal…

— Oui, sous celui-là, cela allait bien. Le frère