venir chez moi ; enfin, parce que je vous trouve assez malheureux pour ne pas vouloir augmenter encore votre malheur…
Fouquet tressaillit.
Ces mots venaient de le rappeler aux soucis de la surintendance, lui qui pendant quelques minutes ne se souvenait plus que des espérances de l’amant.
— Malheureux, moi ? dit-il en essayant un sourire. Mais, en vérité, marquise, vous me le feriez croire avec votre tristesse. Ces beaux yeux ne sont-ils donc levés sur moi que pour me plaindre ? Oh ! j’attends d’eux un autre sentiment.
— Ce n’est pas moi qui suis triste, monsieur : regardez dans cette glace ; c’est vous.
— Marquise, je suis un peu pâle, c’est vrai, mais c’est l’excès du travail ; le roi m’a demandé hier de l’argent.
— Oui, quatre millions ; je sais cela.
— Vous le savez ! s’écria Fouquet, surpris. Et comment le savez-vous ? C’est au jeu seulement, après le départ des reines et en présence d’une seule personne, que le roi…
— Vous voyez que je le sais ; cela suffit, n’est-ce pas ? Eh bien, continuez, mon ami : ce que le roi vous a demandé…
— Eh bien, vous comprenez, marquise, il a fallu se le procurer, puis le faire compter, puis le faire enregistrer, c’est long. Depuis la mort de M. de Mazarin, il y a un peu de fatigue et d’embarras dans le service des finances. Mon administration se trouve surchargée, voilà pourquoi j’ai veillé cette nuit.
— De sorte que vous avez la somme ? demanda la marquise, inquiète.
— Il ferait beau voir, marquise, répliqua gaiement Fouquet, qu’un surintendant des finances n’eût pas quatre pauvres millions dans ses coffres.
— Oui, je crois que vous les avez ou que vous les aurez.
— Comment, que je les aurai ?
— Il n’y a pas longtemps qu’il vous en avait déjà fait demander deux.
— Il me semble, au contraire, qu’il y a un siècle, marquise ; mais ne parlons plus argent, s’il vous plaît.
— Au contraire, parlons-en, mon ami.
— Oh !
— Écoutez, je ne suis venue que pour cela.
— Mais que voulez-vous donc dire ? demanda le surintendant, dont les yeux exprimèrent une inquiète curiosité.
— Monsieur, est-ce une charge inamovible que la surintendance ?
— Marquise !
— Vous voyez que je vous réponds, et franchement même.
— Marquise, vous me surprenez, vous me parlez comme un commanditaire.
— C’est tout simple : je veux placer de l’argent chez vous, et, naturellement, je désire savoir si vous êtes sûr ?
— En vérité, marquise, je m’y perds et ne sais plus où vous voulez en venir.
— Sérieusement, mon cher monsieur Fouquet, j’ai quelques fonds qui m’embarrassent. Je suis lasse d’acheter des terres et désire charger un ami de faire valoir mon argent.
— Mais cela ne presse pas, j’imagine ? dit Fouquet.
— Au contraire, cela presse, et beaucoup.
— Eh bien ! nous en causerons plus tard.
— Non pas plus tard, car mon argent est là.
La marquise montra le coffret au surintendant, et, l’ouvrant, lui fit voir des liasses de billets et une masse d’or.
Fouquet s’était levé en même temps que madame de Bellière ; il demeura un instant pensif ; puis tout à coup, se reculant, il pâlit et tomba sur une chaise en cachant son visage dans ses mains.
— Ah ! marquise ! marquise ! murmura-t-il.
— Eh bien ?
— Quelle opinion avez-vous donc de moi pour me faire une pareille offre ?
— De vous ?
— Sans doute.
— Mais que pensez-vous donc vous-même ? Voyons.
— Cet argent, vous me l’apportez pour moi : vous me l’apportez parce que vous me savez embarrassé. Oh ! ne niez pas. Je devine. Est-ce que je ne connais pas votre cœur ?
— Eh bien ! si vous connaissez mon cœur, vous voyez que c’est mon cœur que je vous offre.
— J’ai donc deviné ? s’écria Fouquet. Oh ! Madame, en vérité, je ne vous ai jamais donné le droit de m’insulter ainsi.
— Vous insulter ! dit-elle en pâlissant. Étrange délicatesse humaine ! Vous m’aimez, m’avez-vous dit ? Vous m’avez demandé au nom de cet amour ma réputation, mon honneur ? Et quand je vous offre mon argent, vous me refusez !
— Marquise, marquise, vous avez été libre de garder ce que vous appelez votre réputation et votre honneur. Laissez-moi me ruiner, laissez-moi succomber sous le fardeau des haines qui m’environnent, sous le fardeau des fautes que j’ai commises, sous le fardeau de mes remords même ; mais, au nom du ciel ! marquise, ne m’écrasez pas sous ce dernier coup.
— Vous avez manqué tout à l’heure d’esprit, monsieur Fouquet, dit-elle.
— C’est possible, Madame.
— Et maintenant, voilà que vous manquez de cœur.
Fouquet comprima de sa main crispée sa poitrine haletante.
— Accablez-moi, Madame, dit-il, je n’ai rien à répondre.
— Je vous ai offert mon amitié, monsieur Fouquet.
— Oui, Madame ; mais vous vous êtes bornée là.
— Ce que je fais est-il d’une amie ?
— Sans doute.
— Et vous refusez cette preuve de mon amitié ?
— Je la refuse.
— Regardez-moi, monsieur Fouquet.
Les yeux de la marquise étincelaient.
— Je vous offre mon amour.