possible, alors vous m’avez, de gaieté de cœur, terrassé par un caprice, femme sans cœur, femme sans foi, femme sans amour ! Vous n’êtes pas digne, toute princesse de sang royal que vous êtes, vous n’êtes pas digne de l’amour d’un honnête homme ; et je me punis de mort pour vous avoir trop aimée, et je meurs en vous haïssant. »
— Oh ! s’écria Raoul épouvanté de l’accent de profonde vérité qui perçait dans les paroles du jeune homme, oh ! je te l’avais bien dit, de Guiche, que tu étais un fou.
— Oui, oui, s’écria de Guiche poursuivant son idée, puisque nous n’avons plus de guerres ici, j’irai là-bas, dans le Nord, demander du service à l’empire, et quelque Hongrois, quelque Croate, quelque Turc me fera bien la charité d’une balle.
De Guiche n’acheva point, ou plutôt, comme il achevait, un bruit le fit tressaillir qui mit sur pied Raoul au même moment.
Quant à de Guiche, absorbé dans sa parole et dans sa pensée, il resta assis, la tête comprimée entre ses deux mains.
Les buissons s’ouvrirent, et une femme apparut devant les deux jeunes gens, pâle, en désordre. D’une main, elle écartait les branches qui eussent fouetté son visage, et, de l’autre, elle relevait le capuchon de la mante dont ses épaules étaient couvertes.
À cet œil humide et flamboyant, à cette démarche royale, à la hauteur de ce geste souverain, et, bien plus encore qu’à tout cela, au battement de son cœur, de Guiche reconnut Madame, et, poussant un cri, il ramena ses mains de ses tempes sur ses yeux.
Raoul, tremblant, décontenancé, roulait son chapeau dans ses mains, balbutiant quelques vagues formules de respect.
— Monsieur de Bragelonne, dit la princesse, veuillez, je vous prie, voir si mes femmes ne sont point quelque part là-bas dans les allées ou dans les quinconces. Et vous, monsieur le comte, demeurez, je suis lasse, vous me donnerez votre bras.
La foudre tombant aux pieds du malheureux jeune homme l’eût moins épouvanté que cette froide et sévère parole.
Néanmoins, comme, ainsi qu’il venait de le dire, il était brave ; comme il venait, au fond du cœur, de prendre toutes ses résolutions, de Guiche se redressa, et, voyant l’hésitation de Bragelonne, lui adressa un coup d’œil plein de résignation et de suprême remercîment.
Au lieu de répondre à l’instant même à Madame, il fit un pas vers le vicomte, et, lui tendant la main que la princesse lui avait demandée, il serra la main toute loyale de son ami avec un soupir, dans lequel il semblait donner à l’amitié tout ce qui restait de vie au fond de son cœur.
Madame attendit, elle si fière, elle qui ne savait pas attendre, Madame attendit que ce colloque muet fût achevé.
Sa main, sa royale main demeura suspendue en l’air, et, quand Raoul fut parti, retomba sans colère, mais non sans émotion, dans celle de Guiche.
Ils étaient seuls au milieu de la forêt sombre et muette, et l’on n’entendait plus que le pas de Raoul s’éloignant avec précipitation par les sentiers ombreux.
Sur leur tête s’étendait la voûte épaisse et odorante du feuillage de la forêt, par les déchirures duquel on voyait briller çà et là quelques étoiles.
Madame entraîna doucement de Guiche à une centaine de pas de cet arbre indiscret qui avait entendu et laissé entendre tant de choses dans cette soirée, et, le conduisant à une clairière voisine qui permettait de voir à une certaine distance autour de soi :
— Je vous amène ici, dit-elle toute frémissante, parce que là-bas où nous étions, toute parole s’entend.
— Toute parole s’entend, dites-vous, Madame ? répondit machinalement le jeune homme.
— Oui.
— Ce qui veut dire ? murmura de Guiche.
— Ce qui veut dire que j’ai entendu toutes vos paroles.
— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! il me manquait encore cela ! balbutia de Guiche.
Et il baissa la tête comme fait le nageur fatigué sous le flot qui l’engloutit.
— Alors, dit-elle, vous me jugez comme vous avez dit ?
De Guiche pâlit, détourna la tête et ne répondit rien ; il se sentait près de s’évanouir.
— C’est fort bien, continua la princesse d’un son de voix plein de douceur ; j’aime mieux cette franchise qui doit me blesser qu’une flatterie qui me tromperait. Soit ! selon vous, monsieur de Guiche, je suis donc coquette et vile.
— Vile ! s’écria le jeune homme, vile, vous ? Oh ! je n’ai certes pas dit, je n’ai certes pas pu dire que ce qu’il y a au monde de plus précieux pour moi fût une chose vile ; non, non, je n’ai pas dit cela.
— Une femme qui voit périr un homme consumé du feu qu’elle a allumé et qui n’éteint pas ce feu est, à mon avis, une femme vile.
— Oh ! que vous importe ce que j’ai dit ? reprit le comte. Que suis-je, mon Dieu ! près de vous et comment vous inquiétez-vous même si j’existe ou si je n’existe pas ?
— Monsieur de Guiche, vous êtes un homme comme je suis une femme, et, vous connaissant ainsi que je vous connais, je ne veux point vous exposer à mourir ; je change avec vous de conduite et de caractère. Je serai, non pas franche, je le suis toujours, mais vraie. Je vous supplie donc, monsieur le comte, de ne plus m’aimer et d’oublier tout à fait que je vous aie jamais adressé une parole ou un regard.
De Guiche se retourna, couvrant Madame d’un regard passionné.
— Vous, dit-il, vous vous excusez ; vous me suppliez, vous !
— Oui, sans doute ; puisque j’ai fait le mal, je dois réparer le mal. Ainsi, monsieur le comte, voilà qui est convenu. Vous me pardonnerez ma frivolité, ma coquetterie. Ne m’interrompez pas. Je vous pardonnerai, moi, d’avoir dit que j’étais frivole et coquette, quelque chose de pis, peut-être ; et vous renoncerez à votre idée de mort, et vous conserverez à votre famille, au roi et aux