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— Des vérités reconnues, je le sais bien. Mais attendez, je suis amoureux.

— Vous ?

— Oui.

— Tant mieux, cher comte. Venez et contez-moi cela.

Et de Guiche, craignant un peu tard peut-être que Saint-Aignan ne remarquât cette fenêtre éclairée, prit le bras du comte et essaya de l’entraîner.

— Oh ! dit celui-ci en résistant, ne me menez point du côté de ces bois noirs, il fait trop humide par là. Restons à la lune, voulez-vous ?

Et, tout en cédant à la pression du bras de de Guiche, il demeura dans les parterres qui avoisinaient le château.

— Voyons, dit de Guiche résigné, conduisez-moi où il vous plaira, et demandez-moi ce qui vous est agréable.

— On n’est pas plus charmant.

Puis, après une seconde de silence :

— Cher comte, continua de Saint-Aignan, je voudrais que vous me disiez deux mots sur une certaine personne que vous avez protégée.

— Et que vous aimez ?

— Je ne dis ni oui ni non, très-cher… Vous comprenez qu’on ne place pas ainsi son cœur à fonds perdu, et qu’il faut bien prendre à l’avance ses sûretés.

— Vous avez raison, dit de Guiche avec un soupir ; c’est précieux, un cœur.

— Le mien surtout, il est tendre, et je vous le donne comme tel.

— Oh ! vous êtes connu, comte. Après ?

— Voici. Il s’agit tout simplement de mademoiselle de Tonnay-Charente.

— Ah çà ! mon cher Saint-Aignan, vous devenez fou, je présume !

— Pourquoi cela ?

— Je n’ai jamais protégé mademoiselle de Tonnay-Charente, moi !

— Bah !

— Jamais !

— Ce n’est pas vous qui avez fait entrer mademoiselle de Tonnay-Charente chez Madame ?

— Mademoiselle de Tonnay-Charente, et vous devez savoir cela mieux que personne, mon cher comte, est d’assez bonne maison pour qu’on la désire, à plus forte raison pour qu’on l’admette.

— Vous me raillez.

— Non, sur l’honneur, je ne sais ce que vous voulez dire.

— Ainsi, vous n’êtes pour rien dans son admission ?

— Non.

— Vous ne la connaissez pas ?

— Je l’ai vue pour la première fois le jour de sa présentation à Madame. Ainsi, comme je ne l’ai pas protégée, comme je ne la connais pas, je ne saurais vous donner sur elle, mon cher comte, les éclaircissements que vous désirez.

Et de Guiche fit un mouvement pour quitter son interlocuteur.

— Là ! là ! dit Saint-Aignan, un instant, mon cher comte ; vous ne m’échapperez point ainsi.

— Pardon, mais il me semblait qu’il était l’heure de rentrer chez soi.

— Vous ne rentriez pas cependant, quand je vous ai, non pas rencontré, mais trouvé.

— Aussi, mon cher comte, du moment où vous avez encore quelque chose à me dire, je me mets à votre disposition.

— Et vous faites bien, pardieu ! Une demi-heure de plus ou de moins, vos dentelles n’en seront ni plus ni moins fripées. Jurez-moi que vous n’aviez pas de mauvais rapports à me faire sur son compte, et que ces mauvais rapports que vous eussiez pu me faire ne sont point la cause de votre silence.

— Oh ! la chère enfant, je la crois pure comme un cristal.

— Vous me comblez de joie. Cependant, je ne veux pas avoir l’air près de vous d’un homme si mal renseigné que je parais. Il est certain que vous avez fourni la maison de la princesse de dames d’honneur. On a même fait une chanson sur cette fourniture.

— Vous savez, mon cher ami, que l’on fait des chansons sur tout.

— Vous la connaissez ?

— Non ; mais chantez-la-moi, je ferai sa connaissance.

— Je ne saurais vous dire comment elle commence, mais je me rappelle comment elle finit.

— Bon ! c’est déjà quelque chose.

Des demoiselles d’honneur,
Guiche est nommé fournisseur.

— L’idée est faible et la rime pauvre.

— Ah ! que voulez-vous, mon cher, ce n’est ni de Racine ni de Molière, c’est de La Feuillade, et un grand seigneur ne peut pas rimer comme un croquant.

— C’est fâcheux, en vérité, que vous ne vous souveniez que de la fin.

— Attendez, attendez, voilà le commencement du second couplet qui me revient.

— J’écoute.

Il a rempli la volière,
Montalais et…

— Pardieu ! et La Vallière ! s’écria de Guiche impatienté et surtout ignorant complètement où Saint-Aignan en voulait venir.

— Oui, oui, c’est cela, La Vallière. Vous avez trouvé la rime, mon cher.

— Belle trouvaille, ma foi !

— Montalais et La Vallière, c’est cela. Ce sont ces deux petites filles que vous avez protégées.

Et Saint-Aignan se mit à rire.

— Donc, vous ne trouvez pas dans la chanson mademoiselle de Tonnay-Charente ? dit de Guiche.

— Non, ma foi !

— Vous êtes satisfait, alors ?

— Sans doute ; mais j’y trouve Montalais, dit Saint-Aignan en riant toujours.

— Oh ! vous la trouverez partout. C’est une demoiselle fort remuante.

— Vous la connaissez ?

— Par intermédiaire. Elle était protégée par un certain Malicorne que protège Manicamp ; Manicamp m’a fait demander un poste de demoiselle d’honneur pour Montalais dans la mai-