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— Dieu merci ! non.

— Celle qui mène chez Madame m’est donc inutile, et je désirerais la troquer contre celle qui mène chez M. de Guiche.

— Oui, certainement, celle-là, je la connais aussi ; mais quant à l’indiquer ici, la chose me paraît impossible.

— Mais, enfin, Mademoiselle, supposons que j’aie trouvé cette bienheureuse allée.

— Alors, vous êtes arrivé.

— Bien.

— Oui, vous n’avez plus à traverser que le labyrinthe.

— Plus que cela ? Diable ! il y a donc un labyrinthe ?

— Assez compliqué, oui ; le jour même, on s’y trompe parfois : ce sont des tours et des détours sans fin ; il faut d’abord faire trois tours à droite, puis deux tours à gauche, puis un tour… Est-ce un tour ou deux tours ? Attendez donc ! Enfin, en sortant du labyrinthe, vous trouvez une allée de sycomores, et cette allée de sycomores vous conduit droit au pavillon qu’habite M. de Guiche.

— Mademoiselle, dit Manicamp, voilà une admirable indication, et je ne doute pas que, guidé par elle, je ne me perde à l’instant même. J’ai, en conséquence, un petit service à vous demander.

— Lequel ?

— C’est de m’offrir votre bras et de me guider vous-même comme une autre… comme une autre… Je savais cependant ma mythologie, Mademoiselle ; mais la gravité des événements me l’a fait oublier. Venez donc, je vous en supplie.

— Et moi ! s’écria Malicorne, et moi, l’on m’abandonne donc ?

— Eh, Monsieur, impossible !… dit Montalais à Manicamp ; on peut me voir avec vous à une pareille heure, et jugez donc ce que l’on dira.

— Vous aurez votre conscience pour vous, Mademoiselle, dit sentencieusement Manicamp.

— Impossible, Monsieur, impossible !

— Alors, laissez-moi aider Malicorne à descendre ; c’est un garçon très-intelligent et qui a beaucoup de flair ; il me guidera, et, si nous nous perdons, nous nous perdrons à deux et nous nous sauverons l’un et l’autre. À deux, si nous sommes rencontrés, nous aurons l’air de quelque chose ; tandis que, seul, j’aurais l’air d’un amant ou d’un voleur. Venez, Malicorne, voici l’échelle.

— Monsieur Malicorne, s’écria Montalais, je vous défends de quitter votre arbre, et cela sous peine d’encourir toute ma colère.

Malicorne avait déjà allongé vers le faîte du mur une jambe qu’il retira tristement.

— Chut ! dit tout bas Manicamp.

— Qu’y a-t-il ? demanda Montalais.

— J’entends des pas.

— Oh ! mon Dieu !

En effet, les pas soupçonnés devinrent un bruit manifeste, le feuillage s’ouvrit, et de Saint-Aignan parut, l’œil riant et la main étendue, surprenant chacun dans la position où il était : c’est-à-dire Malicorne sur son arbre et le cou tendu, Montalais sur son échelon et collée à l’échelle, Manicamp à terre et le pied en avant, prêt à se mettre en route.

— Eh ! bonsoir, Manicamp, dit le comte, soyez le bienvenu, cher ami ; vous nous manquiez ce soir, et l’on vous demandait. Mademoiselle de Montalais, votre… très-humble serviteur !

Montalais rougit.

— Ah ! mon Dieu ! balbutia-t-elle en cachant sa tête dans ses deux mains.

— Mademoiselle, dit de Saint-Aignan, rassurez-vous ; je connais toute votre innocence, et j’en rendrai bon compte. Manicamp, suivez-moi. Charmille, carrefour et labyrinthe me connaissent ; je serai votre Ariane. Hein ! voilà votre nom mythologique retrouvé.

— C’est ma foi ! vrai, comte, merci !

— Mais, par la même occasion, comte, dit Montalais, emmenez aussi M. Malicorne.

— Non pas, non pas, dit Malicorne. M. Manicamp a causé avec vous tant qu’il a voulu ; à mon tour, s’il vous plaît, Mademoiselle ; j’ai, de mon côté, une multitude de choses à vous dire concernant notre avenir.

— Vous entendez, dit le comte en riant ; demeurez avec lui, Mademoiselle. Ne savez-vous pas que cette nuit est la nuit aux secrets.

Et, prenant le bras de Manicamp, le comte l’emmena d’un pas rapide dans la direction du chemin que Montalais connaissait si bien et indiquait si mal.

Montalais les suivit des yeux aussi longtemps qu’elle put les apercevoir.


CXXIV

COMMENT MALICORNE AVAIT ÉTÉ DÉLOGÉ DE L’HÔTEL DU BEAU-PAON.


Pendant que Montalais suivait des yeux le comte et Manicamp, Malicorne avait profité de la distraction de la jeune fille pour se faire une position plus tolérable.

Quand elle se retourna, cette différence qui s’était faite dans la position de Malicorne frappa donc immédiatement ses yeux.

Malicorne était assis comme une manière de singe, le derrière sur le mur, les pieds sur le premier échelon.

Les pampres sauvages et les chèvrefeuilles le coiffaient comme un faune, les torsades de la vigne vierge figuraient assez bien ses pieds de bouc.

Quant à Montalais, rien ne lui manquait pour qu’on pût la prendre pour une dryade accomplie.

— Oh ! dit-elle en remontant un échelon, me rendez-vous malheureuse, me persécutez-vous assez, tyran que vous êtes !

— Moi ? fit Malicorne, moi, un tyran ?

— Oui, vous me compromettez sans cesse, monsieur Malicorne ; vous êtes un monstre de méchanceté.