Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Moi ?

— Qu’aviez-vous à faire à Fontainebleau ? Dites ! est-ce que votre domicile n’est point à Orléans ?

— Ce que j’ai à faire ici, demandez-vous ? Mais j’ai affaire de vous voir.

— Ah ! la belle nécessité.

— Pas pour vous, peut-être, Mademoiselle, mais bien certainement pour moi. Quant à mon domicile, vous savez bien que je l’ai abandonné, et que je n’ai plus dans l’avenir d’autre domicile que celui que vous avez vous-même. Donc, votre domicile étant pour le moment à Fontainebleau, à Fontainebleau je suis venu.

Montalais haussa les épaules.

— Vous voulez me voir, n’est-ce pas ?

— Sans doute.

— Eh bien, vous m’avez vue, vous êtes content, partez !

— Oh ! non, fit Malicorne.

— Comment ! oh ! non ?

— Je ne suis pas venu seulement pour vous voir ; je suis venu pour causer avec vous.

— Eh bien, nous causerons plus tard et dans un autre endroit.

— Plus tard ! Dieu sait si je vous rencontrerai plus tard dans un autre endroit ! Nous n’en trouverons jamais de plus favorable que celui-ci.

— Mais je ne puis ce soir, je ne puis en ce moment.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’il est arrivé cette nuit mille choses.

— Eh bien, ma chose, à moi, fera mille et une.

— Non, non, mademoiselle de Tonnay-Charente m’attend dans notre chambre pour une communication de la plus haute importance.

— Depuis longtemps ?

— Depuis une heure au moins.

— Alors, dit tranquillement Malicorne, elle attendra quelques minutes de plus.

— Monsieur Malicorne, dit Montalais, vous vous oubliez.

— C’est-à-dire que vous m’oubliez, Mademoiselle, et que, moi, je m’impatiente du rôle que vous me faites jouer ici, mordieu ! Mademoiselle, depuis huit jours, je rôde parmi vous toutes, sans que vous ayez daigné une seule fois vous apercevoir que j’étais là.

— Vous rôdez ici, vous, depuis huit jours ?

— Comme un loup-garou ; brûlé ici par les feux d’artifice qui m’ont roussi deux perruques, noyé là dans les osiers par l’humidité du soir ou la vapeur des jets d’eau, toujours affamé, toujours échiné, avec la perspective d’un mur ou la nécessité d’une escalade. Morbleu ! ce n’est pas un sort cela. Mademoiselle, pour une créature qui n’est ni écureuil, ni salamandre, ni loutre ; mais, puisque vous poussez l’inhumanité jusqu’à vouloir me faire renier ma condition d’homme, je l’arbore. Homme je suis, mordieu ! et homme je resterai, à moins d’ordres supérieurs.

— Eh bien, voyons, que désirez-vous, que voulez-vous, qu’exigez-vous ? dit Montalais soumise.

— N’allez-vous pas me dire que vous ignoriez que j’étais à Fontainebleau ?

— Je…

— Soyez franche.

— Je m’en doutais.

— Eh bien, depuis huit jours, ne pouviez-vous pas me voir une fois par jour au moins ?

— J’ai toujours été empêchée, monsieur Malicorne.

— Tarare !

— Demandez à ces demoiselles, si vous ne me croyez pas.

— Je ne demande jamais d’explication sur les choses que je sais mieux que personne.

— Calmez-vous, monsieur Malicorne, cela changera.

— Il le faudra bien.

— Vous savez, qu’on vous voie ou qu’on ne vous voie point, vous savez que l’on pense à vous, dit Montalais avec son air câlin.

— Oh ! l’on pense à moi…

— Parole d’honneur.

— Et rien de nouveau ?

— Sur quoi ?

— Sur ma charge dans la maison de Monsieur.

— Ah ! mon cher monsieur Malicorne, on n’abordait pas Son Altesse Royale pendant ces jours passés.

— Et maintenant ?

— Maintenant, c’est autre chose : depuis hier, il n’est plus jaloux.

— Bah ! Et comment la jalousie lui est-elle passée ?

— Il y a eu diversion.

— Contez-moi cela.

— On a répandu le bruit que le roi avait jeté les yeux sur une autre femme, et Monsieur s’en est trouvé calmé tout d’un coup.

— Et qui a répandu ce bruit ?

Montalais baissa la voix.

— Entre nous, dit-elle, je crois que Madame et le roi s’entendent.

— Ah ! ah ! fit Malicorne, c’était le seul moyen. Mais M. de Guiche, le pauvre soupirant ?

— Oh ! celui-là, il est tout à fait délogé.

— S’est-on écrit ?

— Mon Dieu, non ; je ne leur ai pas vu tenir une plume aux uns ni aux autres depuis huit jours.

— Comment êtes-vous avec Madame ?

— Au mieux.

— Et avec le roi ?

— Le roi me fait des sourires quand je passe.

— Bien ! Maintenant, sur quelle femme les deux amants ont-ils jeté leur dévolu pour leur servir de paravent ?

— Sur La Vallière.

— Oh ! oh ! pauvre fille ! Mais il faudrait empêcher cela, ma mie !

— Pourquoi ?

— Parce que M. Raoul de Bragelonne la tuera ou se tuera s’il a un soupçon.

— Raoul ! ce bon Raoul ! Vous croyez ?

— Les femmes ont la prétention de se connaître en passions, dit Malicorne, et les femmes ne savent pas seulement lire elles-mêmes ce qu’elles pensent dans leurs propres yeux ou dans leur propre cœur. Eh bien, je vous dis, moi, que M. de Bragelonne aime La Vallière à tel point,