Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/457

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l’effort suprême de l’esprit humain. Il était dans une disposition d’esprit à poétiser. L’idée que Porthos habitait dans un pareil Éden lui donna de Porthos une idée plus haute, tant il est vrai que les esprits les plus élevés ne sont point exempts de l’influence de l’entourage.

D’Artagnan trouva la porte ; à la porte, une espèce de ressort qu’il découvrit et qu’il fit jouer. La porte s’ouvrit.

D’Artagnan entra, referma la porte et pénétra dans un pavillon bâti en rotonde, et dans lequel on n’entendait d’autre bruit que celui des cascades et des chants d’oiseaux.

À la porte du pavillon, il rencontra un laquais.

— C’est ici, dit sans hésitation d’Artagnan, que demeure M. le baron du Vallon, n’est-ce pas ?

— Oui, Monsieur, répondit le laquais.

— Prévenez-le que M. le chevalier d’Artagnan, capitaine aux mousquetaires de Sa Majesté, l’attend.

D’Artagnan fut introduit dans un salon.

D’Artagnan ne demeura pas longtemps dans l’attente : un pas bien connu ébranla le parquet de la salle voisine, une porte s’ouvrit ou plutôt s’enfonça et Porthos vint se jeter dans les bras de son ami avec une sorte d’embarras qui ne lui allait pas mal.

— Vous ici ? s’écria-t-il.

— Et vous ? répliqua d’Artagnan. Ah ! sournois !

— Oui, dit Porthos en souriant d’un sourire embarrassé, oui, vous me trouvez chez M. Fouquet, et cela vous étonne un peu, n’est-ce pas ?

— Non pas ; pourquoi ne seriez-vous pas des amis de M. Fouquet ? M. Fouquet a bon nombre d’amis, surtout parmi les hommes d’esprit.

Porthos eut la modestie de ne pas prendre le compliment pour lui.

— Puis, ajouta-t-il, vous m’avez vu à Belle-Isle.

— Raison de plus pour que je sois porté à croire que vous êtes des amis de M. Fouquet.

— Le fait est que je le connais, dit Porthos avec un certain embarras.

— Ah ! mon ami, dit d’Artagnan, que vous êtes coupable envers moi !

— Comment cela ? s’écria Porthos.

— Comment ! vous accomplissez un ouvrage aussi admirable que celui des fortifications de Belle-Isle, et vous ne m’en avertissez pas.

Porthos rougit.

— Il y a plus, continua d’Artagnan, vous me voyez là-bas ; vous savez que je suis au roi, et vous ne devinez pas que le roi, jaloux de connaître quel est l’homme de mérite qui accomplit une œuvre dont on lui fait les plus magnifiques récits, vous ne devinez pas que le roi m’a envoyé pour savoir quel était cet homme ?

— Comment ! le roi vous avait envoyé pour savoir… ?

— Pardieu ! Mais ne parlons plus de cela.

— Corne de bœuf ! dit Porthos, au contraire, parlons-en ; ainsi, le roi savait que l’on fortifiait Belle-Isle ?

— Bon ! est-ce que le roi ne sait pas tout ?

— Mais il ne savait pas qui le fortifiait ?

— Non ; seulement, il se doutait, d’après ce qu’on lui avait dit des travaux, que c’était un illustre homme de guerre.

— Diable ! dit Porthos, si j’avais su cela.

— Vous ne vous seriez pas sauvé de Vannes, n’est-ce pas ?

— Non. Qu’avez-vous dit quand vous ne m’avez plus trouvé ?

— Mon cher, j’ai réfléchi.

— Ah ! oui, vous réfléchissez, vous… Et à quoi cela vous a-t-il mené, de réfléchir ?

— À deviner toute la vérité.

— Ah ! vous avez deviné ?

— Oui.

— Qu’avez-vous deviné ? Voyons, dit Porthos en s’accommodant dans un fauteuil et prenant des airs de sphinx.

— J’ai deviné, d’abord, que vous fortifiiez Belle-Isle.

— Ah ! cela n’était pas bien difficile, vous m’avez vu à l’œuvre.

— Attendez donc ; mais j’ai deviné encore quelque chose, c’est que vous fortifiiez Belle-Isle par ordre de M. Fouquet.

— C’est vrai.

— Ce n’est pas le tout. Quand je suis en train de deviner, je ne m’arrête pas en route.

— Ce cher d’Artagnan !

— J’ai deviné que M. Fouquet voulait garder le secret le plus profond sur ces fortifications.

— C’était son intention, en effet, à ce que je crois, dit Porthos.

— Oui ; mais savez-vous pourquoi il voulait garder ce secret ?

— Dame ! pour que la chose ne fût pas sue, dit Porthos.

— D’abord. Mais ce désir était soumis à l’idée d’une galanterie…

— En effet, dit Porthos, j’ai entendu dire que M. Fouquet élait fort galant.

— À l’idée d’une galanterie qu’il voulait faire au roi.

— Oh ! oh !

— Cela vous étonne ?

— Oui.

— Vous ne saviez pas cela ?

— Non.

— Eh bien, je le sais, moi.

— Vous êtes donc sorcier ?

— Pas le moins du monde.

— Comment le savez-vous, alors ?

— Ah ! voilà, par un moyen bien simple : j’ai entendu M. Fouquet le dire lui-même au roi.

— Lui dire quoi ?

— Qu’il avait fait fortifier Belle-Isle à son intention, et qu’il lui faisait cadeau de Belle-Isle.

— Ah ! vous ayez entendu M. Fouquet dire cela au roi ?

— En toutes lettres. Il a même ajouté : « Belle-Isle a été fortifiée par un ingénieur de mes amis, homme de beaucoup de mérite, que je demanderai la permission de présenter au roi. — Son nom ? a demandé le roi. — Le baron du Vallon, a répondu M. Fouquet. — C’est bien, a répondu le roi, vous me le présenterez. »

— Le roi a répondu cela ?

— Foi de d’Artagnan !