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L’officier mit son cheval au trot derrière celui de son maître, et ils descendirent ainsi vers le pont.

Lorsqu’ils furent de l’autre côté de la Loire :

— Monsieur, dit le roi, vous allez me faire le plaisir de piquer devant vous jusqu’à ce que vous aperceviez un carrosse ; alors vous reviendrez m’avertir ; je me tiens ici.

— Votre Majesté daignera-t-elle me donner quelques détails sur le carrosse que je suis chargé de découvrir ?

— Un carrosse dans lequel vous verrez deux dames et probablement aussi leurs suivantes.

— Sire, je ne veux point faire d’erreur ; y a-t-il encore un autre signe auquel je puisse reconnaître ce carrosse ?

— Il sera, selon toute probabilité, aux armes de M. le cardinal.

— C’est bien, sire, répondit l’officier entièrement fixé sur l’objet de sa reconnaissance.

Il mit alors son cheval au grand trot et piqua du côté indiqué par le roi. Mais il n’eut pas fait cinq cents pas qu’il vit quatre mules, puis un carrosse poindre derrière un monticule. Derrière ce carrosse en venait un autre. Il n’eut besoin que d’un coup d’œil pour s’assurer que c’était bien là les équipages qu’il était venu chercher. Il tourna bride sur-le-champ, et se rapprochant du roi :

— Sire, dit-il, voici les carrosses. Le premier, en effet, contient deux dames avec leurs femmes de chambre ; le second renferme des valets de pied, des provisions, des hardes.

— Bien, bien, répondit le roi d’une voix fort émue. Eh bien, allez je vous prie, dire à ces dames qu’un cavalier de la cour désire présenter ses hommages à elles seules.

L’officier partit au galop.

— Mordioux ! disait-il tout en courant, voilà un emploi nouveau et honorable, j’espère ! Je me plaignais de n’être rien, je suis confident du roi. Un mousquetaire, c’est à en crever d’orgueil !

Il s’approcha du carrosse et fit sa commission en messager galant et spirituel.

Deux dames étaient en effet dans le carrosse : l’une d’une grande beauté, quoique un peu maigre ; l’autre moins favorisée de la nature, mais vive, gracieuse, et réunissant dans les légers plis de son front tous les signes de la volonté.

Ses yeux vifs et perçants, surtout, parlaient plus éloquemment que toutes les phrases amoureuses de mise en ces temps de galanterie. Ce fut à celle-là que d’Artagnan s’adressa sans se tromper, quoique, ainsi que nous l’avons dit, l’autre fût plus jolie peut-être.

— Mesdames, dit-il, je suis le lieutenant des mousquetaires, et il y a sur la route un cavalier qui vous attend et qui désire vous présenter ses hommages.

À ces mots, dont il suivait curieusement l’effet, la dame aux yeux noirs poussa un cri de joie, se pencha hors de la portière, et voyant accourir le cavalier, tendit les bras en s’écriant :

— Ah ! mon cher sire !

Et les larmes jaillirent aussitôt de ses yeux.

Le cocher arrêta ses chevaux, les femmes de chambre se levèrent avec confusion au fond du carrosse, et la seconde dame ébaucha une révérence terminée par le plus ironique sourire que la jalousie ait jamais dessiné sur des lèvres de femme.

— Marie ! chère Marie ! s’écria le roi en prenant dans ses deux mains la main de la dame aux yeux noirs.

Et ouvrant lui-même la lourde portière, il l’attira hors du carrosse avec tant d’ardeur qu’elle fut dans ses bras avant de toucher terre. Le lieutenant, posté de l’autre côté du carrosse, voyait et entendait sans être remarqué. Le roi offrit son bras à mademoiselle de Mancini, et fit signe aux cochers et aux laquais de poursuivre leur chemin.

Il était six heures à peu près ; la route était fraîche et charmante ; de grands arbres aux feuillages encore noués dans leur bourre dorée laissaient filtrer la rosée du matin suspendue comme des diamants liquides à leurs branches frémissantes ; l’herbe s’épanouissait au pied des haies : les hirondelles, revenues depuis quelques jours, décrivaient leurs courbes gracieuses entre le ciel et l’eau ; une brise parfumée par les bois dans leur floraison courait le long de cette route et ridait la nappe d’eau du fleuve ; toutes ces beautés du jour, tous ces parfums des plantes, toutes ces aspirations de la terre vers le ciel, enivraient les deux amants, marchant côte à côte, appuyés l’un à l’autre, les yeux sur les yeux, la main dans la main, et qui, s’attardant par un commun désir, n’osaient parler, tant ils avaient de choses à se dire.

L’officier vit que le cheval abandonné errait çà et là et inquiétait mademoiselle de Mancini. Il profita du prétexte pour se rapprocher du cheval, et à pied aussi entre les deux montures qu’il maintenait, il ne perdit pas un seul mot ni un geste des deux amants. Ce fut mademoiselle de Mancini qui commença.

— Ah ! mon cher sire, dit-elle, vous ne m’abandonnez donc pas, vous ?

— Non, répondit le roi ; vous le voyez bien, Marie.

— On me l’avait tant dit, cependant : qu’à peine serions-nous séparés, vous ne penseriez plus à moi !

— Chère Marie, est-ce donc d’aujourd’hui que vous vous apercevez que nous sommes entourés de gens intéressés à nous tromper ?

— Mais enfin, sire, ce voyage, cette alliance avec l’Espagne ? On vous marie !

Louis baissa la tête.

En même temps l’officier put voir luire au soleil les regards de Marie de Mancini, brillants comme une dague qui jaillit du fourreau.

— Et vous n’avez rien fait pour notre amour ? demanda la jeune fille après un instant de silence.

— Ah ! Mademoiselle, comment pouvez-vous croire cela ! Je me suis jeté aux genoux de ma mère ; j’ai prié, j’ai supplié ; j’ai dit que tout mon bonheur était en vous ; j’ai menacé…

— Eh bien ? demanda vivement Marie.

— Eh bien ! la reine mère a écrit en cour de