Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/698

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Et quand Fouquet soupirait trop haut, d'Artagnan ronflait plus fort. — Page 696.

Le sang commençait à se révolter et montait à la tête du prince. Cette nature, habituée au commandement, frémissait devant une désobéissance. Peu à peu la colère grandit. Le prisonnier brisa sa chaise trop lourde pour ses mains, et s’en servit comme d’un bélier pour frapper dans la porte. Il frappa si fort et tant de fois, que la sueur commença à couler de son front. Le bruit devint immense et continu. Quelques cris étouffés y répondaient çà et là.

Ce bruit produisit sur le roi un effet étrange. Il s’arrêta pour l’écouter. C’étaient les voix des prisonniers, autrefois ses victimes, aujourd’hui ses compagnons. Ces voix montaient comme des vapeurs à travers d’épais plafonds, des murs opaques. Elles accusaient encore l’auteur de ce bruit, comme, sans doute, les soupirs et les larmes accusaient tout bas l’auteur de leur captivité. Après avoir ôté la liberté à tant de gens, le roi venait chez eux leur ôter le sommeil.

Cette idée faillit le rendre fou. Elle doubla ses forces ou plutôt sa volonté, altérée d’obtenir un renseignement ou une conclusion. Le bâton de la chaise recommença son office. Au bout d’une heure, Louis entendit quelque chose dans le corridor, derrière sa porte, et un violent coup, répondu dans cette porte même, fit cesser les siens.

— Ah çà ! êtes-vous fou ? dit une rude et grossière voix. Que vous prend-il ce matin ?

— Ce matin ! pensa le roi surpris.

Puis, poliment :

— Monsieur, dit-il, êtes-vous le gouverneur de la Bastille ?

— Mon brave, vous avez la cervelle détraquée, répliqua la voix ; mais ce n’est pas une