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— Rassemblons des troupes à Paris, dit-il.

— Les ordres sont donnés à cet effet, répliqua Fouquet.

— Vous avez donné des ordres ? s’écria le roi.

— Pour cela, oui, sire. Votre Majesté sera à la tête de dix mille hommes dans une heure.

Pour toute réponse, le roi prit la main de Fouquet avec une telle effusion, qu’il était aisé de voir combien il avait jusqu’à cette parole, conservé de défiance contre son ministre, malgré l’intervention de ce dernier.

— Et avec ces troupes, poursuivit le roi, nous irons assiéger, dans votre maison, les rebelles, qui doivent déjà s’y être établis ou retranchés.

— Cela m’étonnerait, répliqua Fouquet.

— Pourquoi ?

— Parce que leur chef, l’âme de l’entreprise, ayant été démasqué par moi, tout le plan me semble avorté.

— Vous avez démasqué ce faux prince, lui ?

— Non, je ne l’ai pas vu.

— Qui donc, alors ?

— Le chef de l’entreprise, ce n’est point ce malheureux… Celui-là n’est qu’un instrument destiné pour toute sa vie au malheur, je le vois bien.

— Absolument !

— C’est M. l’abbé d’Herblay, l’évêque de Vannes.

— Votre ami ?

— Il était mon ami, sire, répliqua noblement Fouquet.

— Voilà qui est malheureux pour vous, dit le roi d’un ton moins généreux.

— De pareilles amitiés n’avaient rien de déshonorant, tant que j’ignorais le crime, sire.

— Il fallait le prévoir.

— Si je suis coupable, je me remets aux mains de Votre Majesté.

— Ah ! monsieur Fouquet, ce n’est point là ce que je veux dire, repartit le roi, fâché d’avoir ainsi montré l’aigreur de sa pensée. Eh bien, je vous le déclare, malgré le masque dont ce misérable se couvrait la face, j’ai eu comme un vague soupçon que ce pouvait être lui. Mais, avec ce chef de l’entreprise, il y avait un homme de main. Celui qui me menaçait de sa force herculéenne, quel est-il ?

— Ce doit être son ami, le baron du Vallon, l’ancien mousquetaire.

— L’ami de d’Artagnan ? l’ami du comte de La Fère ? Ah ! s’écria le roi sur ce dernier nom, ne négligeons pas cette relation entre les conspirateurs et M. de Bragelonne.

— Sire, sire, n’allez pas trop loin. M. de la Fère est le plus honnête homme de France. Contentez-vous de ce que je vous livre.

— De ce que vous me livrez ? Bien ! car vous me livrez les coupables, n’est-ce pas ?

— Comment Votre Majesté l’entend-elle ? demanda Fouquet.

— J’entends, répliqua le roi, que nous allons arriver à Vaux avec des forces, que nous ferons main basse sur ce nid de vipères, et qu’il n’échappera rien ; rien, n’est-ce pas ?

— Votre Majesté fera tuer ces hommes ? s’écria Fouquet.

— Jusqu’au dernier !

— Oh ! sire !

— Entendons-nous bien, monsieur Fouquet, dit le roi avec hauteur. Je ne vis plus dans un temps où l’assassinat soit la seule, la dernière raison des rois. Non, Dieu merci ! J’ai des parlements, moi, qui jugent en mon nom, et j’ai des échafauds où l’on exécute mes volontés suprêmes !

Fouquet pâlit.

— Je prendrai la liberté, dit-il de faire observer à Votre Majesté que tout procès sur ces matières est un scandale mortel pour la dignité du trône. Il ne faut pas que le nom auguste d’Anne d’Autriche passe par les lèvres du peuple, entr’ouvertes pour un sourire.

— Il faut que justice soit faite, Monsieur.

— Bien, sire ; mais le sang royal ne peut couler sur l’échafaud !

— Le sang royal ! vous croyez cela ? s’écria le roi avec fureur en frappant du pied sur le carreau. Cette double naissance est une invention. Là, surtout, dans cette invention, je vois le crime de M. d’Herblay. C’est ce crime que je veux punir, bien plus que leur violence, leur insulte.

— Et punir de mort ?

— De mort, oui, Monsieur.

— Sire, dit avec fermeté le surintendant, dont le front, longtemps baissé, se releva superbe, Votre Majesté fera trancher la tête, si elle le veut, à Philippe de France, son frère ; cela la regarde, et elle consultera là-dessus Anne d’Autriche, sa mère. Ce qu’elle ordonnera sera bien ordonné. Je ne m’en veux donc plus mêler, pas même pour l’honneur de votre couronne ; mais j’ai une grâce à vous demander : je vous la demande.

— Parlez, dit le roi fort troublé par les dernières paroles du ministre. Que vous faut-il ?

— La grâce de M. d’Herblay et celle de M. du Vallon.

— Mes assassins ?

— Deux rebelles, sire, voilà tout.

— Oh ! je comprends que vous me demandiez grâce pour vos amis.

— Mes amis ! fit Fouquet blessé profondément.

— Vos amis, oui ; mais la sûreté de mon État exige une exemplaire punition des coupables.

— Je ne ferai pas observer à Votre Majesté que je viens de lui rendre la liberté, de lui sauver la vie.

— Monsieur !

— Je ne lui ferai pas observer que, si M. d’Herblay eût voulu faire son rôle d’assassin, il pouvait simplement assassiner Votre Majesté, ce matin, dans la forêt de Sénart et que tout était fini.

Le roi tressaillit.

— Un coup de pistolet dans la tête, poursuivit Fouquet, et le visage de Louis XIV, devenu méconnaissable, était à jamais l’absolution de M. d’Herblay.

Le roi pâlit d’épouvante à l’aspect du péril évité.

— M. d’Herblay, continua Fouquet, s’il eût été un assassin, n’avait pas besoin de me conter son plan pour réussir. Débarrassé du vrai roi, il rendait le faux roi impossible à deviner. L’usurpateur eût-il été reconnu par Anne d’Autriche, c’était toujours un fils pour elle. L’usurpateur, pour la conscience de M. d’Herblay, c’était toujours un roi du sang de Louis XIII. De plus, le conspirateur avait la sûreté, le secret, l’impunité. Un coup de pistolet lui donnait tout cela. Grâce, pour lui, au nom de votre salut, sire !

Le roi, au lieu d’être touché par cette peinture si vraie de générosité d’Aramis, se sentait cruellement humilié. Son indomptable orgueil ne pouvait s’accoutumer à l’idée qu’un homme avait tenu, suspendu au bout de son doigt, le fil d’une vie royale. Chacune des paroles que Fouquet croyait efficaces pour obtenir la grâce de ses amis portait une nouvelle goutte de ve-