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envoyé pour induire en faute le protecteur du parlement ; l’or n’était qu’un leurre ; sans doute encore, à l’aide de ce leurre, on voulait exciter la cupidité du général. Cet or ne devait pas exister. Il s’agissait, pour Monck, de prendre en flagrant délit de mensonge et de ruse le gentilhomme français, et de se tirer du mauvais pas même où ses ennemis voulaient l’engager, un triomphe pour sa renommée. Monck, une fois fixé sur ce qu’il avait à faire :

— Monsieur, dit-il à Athos, sans doute vous me ferez l’honneur de partager mon souper ce soir ?

— Oui, milord, répondit Athos en s’inclinant, car vous me faites un honneur dont je me sens digne par le penchant qui m’entraîne vers vous.

— C’est d’autant plus gracieux à vous d’accepter avec cette franchise, que mes cuisiniers sont peu nombreux et peu exercés, et que mes approvisionneurs sont rentrés ce soir les mains vides ; si bien que, sans un pêcheur de votre nation qui s’est fourvoyé dans mon camp, le général Monck se couchait sans souper aujourd’hui. J’ai donc du poisson frais, à ce que m’a dit le vendeur.

— Milord, c’est principalement pour avoir l’honneur de passer quelques instants de plus avec vous.

Après cet échange de civilités, pendant lequel Monck n’avait rien perdu de sa circonspection, le souper, ou ce qui devait en tenir lieu, avait été servi sur une table de bois de sapin. Monck fit signe au comte de La Fère de s’asseoir à cette table et prit place en face de lui. Un seul plat, couvert de poisson bouilli, offert aux deux illustres convives, promettait plus aux estomacs affamés qu’aux palais difficiles.

Tout en soupant, c’est-à-dire en mangeant ce poisson arrosé de mauvaise ale, Monck se fit raconter les derniers événements de la Fronde, la réconciliation de M. de Condé avec le roi, le mariage probable de Sa Majesté avec l’infante Marie-Thérèse ; mais il évita, comme Athos l’évitait lui-même, toute allusion aux intérêts politiques qui unissaient ou plutôt qui désunissaient en ce moment l’Angleterre, la France et la Hollande.

Monck, dans cette conversation, se convainquit d’une chose qu’il avait déjà remarquée aux premiers mots échangés, c’est qu’il avait affaire à un homme de haute distinction.

Celui-là ne pouvait être un assassin, et il répugnait à Monck de le croire un espion ; mais il y avait assez de finesse et de fermeté à la fois dans Athos pour que Monck crût reconnaître en lui un conspirateur.

Lorsqu’ils eurent quitté la table :

— Vous croyez donc à votre trésor, Monsieur ? demanda Monck.

— Oui, milord.

— Sérieusement ?

— Très sérieusement.

— Et vous croyez retrouver la place à laquelle il a été enterré ?

— À la première inspection.

— Eh bien, Monsieur, dit Monck, par curiosité, je vous accompagnerai. Et il faut d’autant plus que je vous accompagne, que vous éprouveriez les plus grandes difficultés à circuler dans le camp sans moi ou l’un de mes lieutenants.

— Général, je ne souffrirais pas que vous vous dérangeassiez si je n’avais, en effet, besoin de votre compagnie ; mais comme je reconnais que cette compagnie m’est non-seulement honorable, mais nécessaire, j’accepte.

— Désirez-vous que nous emmenions du monde ? demanda Monck à Athos.

— Général, c’est inutile, je crois, si vous-même n’en voyez pas la nécessité. Deux hommes et un cheval suffiront pour transporter les deux barils sur la felouque qui m’a amené.

— Mais il faudra piocher, creuser, remuer la terre, fendre des pierres, et vous ne comptez pas faire cette besogne vous-même, n’est-ce pas ?

— Général, il ne faut ni creuser, ni piocher. Le trésor est enfoui dans le caveau des sépultures du couvent ; sous une pierre, dans laquelle est scellé un gros anneau de fer, s’ouvre un petit degré de quatre marches. Les deux barils sont là, bout à bout, recouverts d’un enduit de plâtre ayant la forme d’une bière. Il y a en outre une inscription qui doit me servir à reconnaître la pierre ; et comme je ne veux pas, dans une affaire de délicatesse et de confiance, garder de secrets pour Votre Honneur, voici cette inscription :

Hic jacet venerabilis Petrus Guillelmus Scott, Canon. Honorab. Conventûs Novi Castelli. Obiit quartâ et decimâ die. Feb. ann. Dom. mccviii.

Requiescat in pace.

Monck ne perdait pas une parole. Il s’étonnait, soit de la duplicité merveilleuse de cet homme et de la façon supérieure dont il jouait son rôle, soit de la bonne foi loyale avec laquelle il présentait sa requête, dans une situation où il s’agissait d’un million aventuré contre un coup de poignard, au milieu d’une armée qui eût regardé le vol comme une restitution.

— C’est bien, dit-il, je vous accompagne, et l’aventure me paraît si merveilleuse, que je veux porter moi-même le flambeau.

Et en disant ces mots, il ceignit une courte épée, plaça un pistolet à sa ceinture, découvrant, dans ce mouvement, qui fit entrouvrir son pourpoint, les fins anneaux d’une cotte de mailles destinée à le mettre à l’abri du premier coup de poignard d’un assassin.

Après quoi, il passa un dirk écossais dans sa main gauche ; puis, se tournant vers Athos :

— Êtes-vous prêt, Monsieur ? dit-il. Je le suis.

Athos, au contraire de ce que venait de faire Monck, détacha son poignard, qu’il posa sur la table, dégrafa le ceinturon de son épée, qu’il coucha près de son poignard, et sans affectation, ouvrant les agrafes de son pourpoint comme pour y chercher son mouchoir, montra sous sa fine chemise de batiste sa poitrine nue et sans armes offensives ni défensives.

— Voilà, en vérité, un singulier homme, dit Monck, il est sans arme aucune ; il a donc une embuscade placée là-bas ?

— Général, dit Athos, comme s’il eût deviné la pensée de Monck, vous voulez que nous soyons seuls, c’est fort bien ; mais un grand ca-