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LES FRÈRES CORSES

cette maison, être entré dans un monde étranger, où je vivais comme dans un rêve.

Qu’était-ce donc que cette femme qui avait sa carabine comme un soldat ?

Qu’était-ce donc que ce frère qui éprouvait les mêmes douleurs qu’éprouvait son autre frère, à trois cents lieues de lui ?

Qu’était-ce que cette mère qui faisait jurer à son fils que, s’il revoyait son autre fils mort, il le lui dirait ?

Il y avait dans tout ce qui m’arrivait, on en conviendra, ample matière à rêverie.

Cependant, comme je m’aperçus que le silence que je gardais était impoli, je relevai le front en secouant la tête, comme pour en écarter toutes ces idées.

La mère et le fils virent à l’instant même que je voulais en revenir à la conversation.

— Et, me dit Lucien, comme s’il eût repris une conversation interrompue, vous vous êtes donc décidé à venir en Corse ?

— Oui, vous le voyez : depuis longtemps, j’avais ce projet, et je l’ai enfin mis à exécution.

— Ma foi, vous avez bien fait de ne pas trop tarder ; car, dans quelques années, avec l’envahissement successif des goûts et des mœurs français, ceux qui viendront ici pour y chercher la Corse ne la trouveront plus.