Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/111

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— Mais non ; quel enragé !

— Ah ! c’est que si vous vous sauvez, voyez-vous je crie à la garde, moi !

En disant ces mots, Samuël avait tellement haussé la voix qu’autant eût valu qu’il eût effectué sa menace sans la faire.

À ce bruit, une petite fenêtre s’était ouverte au balcon de la maison contre laquelle le marché se faisait ; et le grincement qu’avait produit cette fenêtre en s’ouvrant, le marchand l’avait entendu avec terreur.

— Allons, allons, dit-il, je vois bien qu’il faut faire tout ce que vous voulez ; voilà quinze écus, et allez-vous-en.

— À la bonne heure ! dit Samuël en empochant les quinze écus.

— C’est bien heureux.

— Mais ces quinze écus sont pour mon maître, continua Samuël, et il me faut bien aussi quelque chose pour moi.

Le marchand jeta les yeux autour de lui en tirant à demi sa dague du fourreau. Évidemment il avait l’intention de faire à la peau de Samuël un accroc qui l’eût dispensé à tout jamais de racheter une cuirasse pour remplacer celle qu’il venait de vendre ; mais Samuël avait l’œil alerte comme un moineau qui vendange, et il recula en disant :

— Oui, oui, bon marchand, je vois ta dague ; mais je vois encore autre chose : cette figure au balcon qui te voit aussi.

Le marchand, blême de frayeur, regarda dans la direction indiquée par Samuël, et vit en effet au balcon une longue et fantastique créature, enveloppée dans une robe de chambre en fourrures de peaux de chat : cet argus n’avait perdu ni une syllabe, ni un geste de la dernière scène.

— Allons, allons, vous faites de moi ce que vous voulez, dit le marchand avec un rire pareil à celui du chacal qui montre ses dents, voilà un écu en plus. Et que le diable vous étrangle ! ajouta-t-il tout bas.

— Merci, dit Samuël ; bon négoce !

Et saluant l’homme aux cuirasses, il disparut en ricanant.