Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/142

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Le roi regarda tous ces lits, tous ces dormeurs, puis se retournant du côté du duc avec une curiosité inquiète :

— Eh bien ! lui demanda-t-il, quels sont tous ces gens qui dorment ?

— Des gens qui dorment encore ce soir, mais qui dès demain ne dormiront plus, qu’à leur tour, s’entend.

— Et pourquoi ne dormiront-ils pas ?

— Pour que Votre Majesté puisse dormir, elle.

— Explique-toi ; tous ces gens-là sont donc tes amis ?

— Choisis par moi, sire, triés comme le grain dans l’aire ; des gardes intrépides qui ne quitteront pas Votre Majesté plus que son ombre, et qui, gentilshommes tous, ayant le droit d’aller partout où Votre Majesté ira, ne laisseront personne approcher de vous à la longueur d’une épée.

— C’est toi qui as inventé cela, d’Épernon ?

— Eh ! mon Dieu, oui, moi tout seul, sire.

— On en rira.

— Non pas, on en aura peur.

— Ils sont donc bien terribles, tes gentilshommes ?

— Sire, c’est une meute que vous lancerez sur tel gibier qu’il vous plaira, et qui, ne connaissant que vous, n’ayant de relations qu’avec Votre Majesté, ne s’adresseront qu’à vous pour avoir la lumière, la chaleur, la vie.

— Mais cela va me ruiner.

— Est-ce qu’un roi se ruine jamais ?

— Je ne puis déjà point payer les Suisses.

— Regardez bien ces nouveaux venus, sire, et dites-moi s’ils vous paraissent gens de grande dépense ?

Le roi jeta un regard sur ce long dortoir qui présentait un aspect assez digne d’attention, même pour un roi accoutumé aux belles divisions architecturales.

Cette salle longue était coupée, dans toute sa longueur, par une cloison sur laquelle le constructeur avait pris quarante-cinq alcôves, placées comme autant de chapelles à côté les unes des autres, et donnant sur le passage à