Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/15

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des émeutes ? dit en haussant les épaules, avec un air de souveraine pitié, l’homme aux longs bras et aux longues jambes.

— Oh ! oh ! fit maître Miton en se penchant à l’oreille de son interlocuteur, voilà un homme qui parle d’un singulier ton : le connaissez-vous, compère ?

— Non, répondit le petit homme.

— Eh bien, pourquoi lui parlez-vous donc alors ?

— Je lui parle pour lui parler.

— Et vous avez tort ; vous voyez bien qu’il n’est point d’un naturel causeur.

— Il me semble cependant, reprit le compère Friard assez haut pour être entendu de l’homme aux longs bras, qu’un des grands bonheurs de la vie est d’échanger sa pensée.

— Avec ceux qu’on connaît ; très-bien, répondit maître Miton, mais non avec ceux que l’on ne connaît pas.

— Tous les hommes ne sont-ils pas frères ? comme dit le curé de Saint-Leu, ajouta le compère Friard d’un ton persuasif.

— C’est-à-dire qu’ils l’étaient primitivement ; mais, dans des temps comme les nôtres, la parenté s’est singulièrement relâchée, compère Friard. Causez donc avec moi, si vous tenez absolument à causer, et laissez cet étranger à ses préoccupations.

— C’est que je vous connais depuis longtemps, vous, comme vous dites, et je sais d’avance ce que vous me répondrez ; tandis qu’au contraire, peut-être, cet inconnu aurait-il quelque chose de nouveau à me dire.

— Chut ! il vous écoute.

— Tant mieux, s’il nous écoute ; peut-être me répondra-t-il. Ainsi donc, Monsieur, continua le compère Friard en se tournant vers l’inconnu, vous pensez qu’il y aura du bruit en Grève ?

— Moi, je n’ai pas dit un mot de cela.