Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/16

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— Je ne prétends pas que vous l’ayez dit, continua Friard d’un ton qu’il essayait de rendre fin : je prétends que vous le pensez, voilà tout.

— Et sur quoi appuyez-vous cette certitude ? seriez-vous sorcier, monsieur Friard ?

— Tiens ! il me connaît ! s’écria le bourgeois au comble de l’étonnement, et d’où me connaît-il ?

— Ne vous ai-je pas nommé deux ou trois fois, compère ? dit Miton en haussant les épaules comme un homme honteux devant un étranger du peu d’intelligence de son interlocuteur.

— Ah ! c’est vrai, reprit Friard, faisant un effort pour comprendre, et comprenant, grâce à cet effort ; c’est, sur ma parole, vrai ; eh bien ! puisqu’il me connaît, il va me répondre. Eh bien ! Monsieur, continua-t-il en se retournant vers l’inconnu, je pense que vous pensez qu’il y aura du bruit en Grève, attendu que si vous ne le pensiez pas, vous y seriez, et qu’au contraire vous êtes ici… ah !

Ce ah ! prouvait que le compère Friard avait atteint, dans sa déduction, les bornes les plus éloignées de sa logique et de son esprit.

— Mais vous, monsieur Friard, puisque vous pensez le contraire de ce que vous pensez que je pense, répondit l’inconnu, en appuyant sur les mots prononcés déjà par son interrogateur et répétés par lui, pourquoi n’y êtes-vous pas, en Grève ? Il me semble cependant que le spectacle est assez réjouissant pour que les amis du roi s’y foulent. Après cela peut-être me répondrez-vous que vous n’êtes pas des amis du roi, mais de ceux de M. de Guise, et que vous attendez ici les Lorrains qui, dit-on, doivent faire invasion dans Paris pour délirer M. de Salcède.

— Non, Monsieur, répondit vivement le petit homme, visiblement effrayé de ce que supposait l’inconnu ; non, Monsieur, j’attends ma femme, mademoiselle Nicole Friard, qui est allée reporter vingt-quatre nappes au prieuré des Jaco-