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XVIII

LA BOURSE DE CHICOT


Chicot passa toute la nuit à rêver sur son fauteuil.

Rêver est le mot, car, en vérité, ce furent moins des pensées qui l’occupèrent que des rêves.

Revenir au passé, voir s’éclairer au feu d’un seul regard toute une époque presque effacée déjà de la mémoire, ce n’est pas penser.

Chicot habita toute la nuit un monde déjà laissé par lui bien en arrière, et peuplé d’ombres illustres ou gracieuses que le regard de la femme pâle, semblable à une lampe fidèle, lui montrait défilant une à une devant lui avec son cortège de souvenirs heureux et terribles.

Chicot, qui regrettait tant son sommeil en revenant du Louvre, ne songea pas même à se coucher.

Aussi, quand l’aube vint argenter les vitraux de sa fenêtre :

— L’heure des fantômes est passée, dit-il, il s’agit de songer un peu aux vivants.

Il se leva, ceignit sa longue épée, jeta sur ses épaules un surtout de laine de couleur lie de vin, d’un tissu impénétrable aux plus fortes pluies, et, avec la stoïque fermeté du sage, il examina d’un coup d’œil le fond de sa bourse et la semelle de ses souliers.

Ceux-ci parurent à Chicot dignes de commencer une campagne ; celle-là méritait une attention particulière.