Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/235

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— Quel serviteur complaisant ! dit Chicot ; c’est une perle que ce gaillard-là.

— Il est charmant ! je te le disais bien, répondit dom Modeste.

— Je suis sûr qu’il te fait la même chose tous les jours ? dit Chicot.

— Oh ! tous les jours. Il est soumis comme un esclave ; je ne fais que lui reprocher ses prévenances. L’humilité n’est pas la servitude, ajouta sentencieusement Gorenflot.

— En sorte que tu n’as vraiment rien à faire ici, et que tu peux dormir sur les deux oreilles : frère Borromée veille pour toi.

— Oh ! mon Dieu, oui.

— Voilà ce que je voulais savoir, dit Chicot, dont l’attention se porta sur Borromée tout seul.

C’était merveille que de voir, pareil à un cheval de guerre, se redresser sous le harnais le trésorier des moines.

Son œil dilaté lançait des flammes, son bras vigoureux imprimait à l’épée des secousses tellement savantes, qu’on eût dit un maître en fait d’armes s’escrimant devant un peloton de soldats.

Chaque fois que frère Borromée faisait une démonstration, Gorenflot la répétait en ajoutant :

— Borromée a raison ; mais je vous ai déjà dit cela, moi ; rappelez-vous donc ma leçon d’hier. Passez l’arme d’une main dans l’autre ; soutenez la pique, soutenez-la donc : le fer à la hauteur de l’œil ; de la tenue, par saint Georges ! du jarret ; demi-tour à gauche est exactement la même chose que demi-tour à droite, excepté que c’est tout le contraire.

— Ventre de biche ! dit Chicot, tu es un habile démonstrateur.

— Oui, oui, fit Gorenflot en caressant son triple menton, j’entends assez bien la manœuvre.

— Et tu as dans Borromée un excellent élève.