Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/270

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fini sa lecture. Je gagerais que la lettre a été écrite par le trésorier ; il a une main superbe.

— C’est en effet frère Borromée qui a écrit la lettre, répondit le Goliath.

— Eh bien, en ce cas, mon ami, reprit Chicot en souriant agréablement au grand moine, vous allez retourner au prieuré.

— Moi ?

— Oui, et vous direz à Sa Révérence que j’ai changé d’avis, et que je désire voyager seul.

— Comment ! vous ne m’emmènerez pas, Monsieur ? fit le moine avec un étonnement qui n’était point exempt de menace.

— Non, mon ami, non.

— Et pourquoi cela, s’il vous plaît ?

— Parce que j’ai à faire des économies ; les temps sont durs, et vous devez manger énormément.

Le géant montra ses trois défenses.

— Jacques mange tout autant que moi, dit-il.

— Oui, mais Jacques était un moine, fit Chicot.

— Et moi, que suis-je donc ?

— Vous, mon ami, vous êtes un lansquenet ou un gendarme, ce qui, entre nous soit dit, pourrait scandaliser la Notre-Dame vers qui je suis député.

— Que parlez-vous donc de lansquenet et de gendarme ? répondit le moine. Je suis un jacobin, moi ; est-ce que ma robe n’est pas reconnaissable ?

— L’habit ne fait pas le moine, mon ami, répliqua Chicot ; mais le couteau fait le soldat : dites cela au frère Borromée, s’il vous plaît.

Et Chicot tira sa révérence au géant, qui reprit le chemin du prieuré en grondant comme un chien qu’on chasse.

Quant à notre voyageur, il laissa disparaître celui qui devait être son compagnon, et lorsqu’il l’eut vu s’engouffrer dans la grande porte du couvent, il alla se cacher derrière