Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/28

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Mais le Gascon s’inquiéta peu de tous ces regards d’envie ; il se campa fièrement en faisant saillir à travers son maigre pourpoint vert tous les muscles de son corps, qui semblaient autant de cordes tendues par une manivelle intérieure. Ses poignets, secs et osseux, dépassaient de trois bons pouces ses manches râpées ; il avait le regard clair, les cheveux jaunes et crépus soit de nature, soit de hasard, car la poussière entrait pour un bon dixième dans leur couleur. Ses pieds, grands et souples, s’emmanchaient à des chevilles nerveuses et sèches comme celles d’un daim. À l’une de ses mains, à une seule, il avait passé un gant de peau brodé, tout surpris de se voir destiné à protéger cette autre peau plus rude que la sienne ; de son autre main il agitait une baguette de coudrier. Il regarda un instant autour de lui ; puis, pensant que l’officier dont nous avons parlé était la personne la plus considérable de cette troupe, il marcha droit à lui.

Celui-ci le considéra quelque temps avant de lui parler.

Le Gascon, sans se démonter le moins du monde, en fit autant.

— Mais vous avez perdu votre chapeau, ce me semble ? lui dit-il.

— Oui, Monsieur.

— Est-ce dans la foule ?

— Non, je venais de recevoir une lettre de ma maîtresse. Je la lisais, cap de Bious ! près de la rivière, à un quart de lieue d’ici, quand tout à coup un coup de vent m’enlève lettre et chapeau. Je courus après la lettre, quoique le bouton de mon chapeau fût un seul diamant. Je rattrapai ma lettre ; mais, quand je revins au chapeau, le vent l’avait emporté dans la rivière, et la rivière dans Paris !… Il fera la fortune de quelque pauvre diable ; tant mieux !

— De sorte que vous êtes nu-tête ?

— Ne trouve-t-on pas de chapeau à Paris, cap de Bious ! j’en achèterai un plus magnifique, et j’y mettrai un diamant deux fois gros comme le premier.