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compagnon aurait-il l’obligeance de l’attendre une ou deux heures sur la route ?

Cette réflexion conduisit Sainte-Maline de la colère au plus violent désespoir, surtout lorsqu’il vit, du fond de son encaissement, le silencieux Ernauton piquer des deux en obliquant par quelque chemin qu’il jugeait sans doute le plus court.

Chez les hommes véritablement irascibles, le point culminant de la colère est un éclair de folie.

Quelques-uns n’arrivent qu’au délire.

D’autres vont jusqu’à la prostration totale des forces et de l’intelligence.

Sainte-Maline tira machinalement son poignard ; un instant il eut l’idée de se le planter jusqu’à la garde dans la poitrine.

Ce qu’il souffrit en ce moment, nul ne pourrait le dire, pas même lui.

On meurt d’une pareille crise, ou, si on la supporte, on y vieillit de dix ans.

Il remonta le talus de la rivière, s’aidant de ses mains et de ses genoux jusqu’à ce qu’il fût arrivé au sommet ; arrivé là, son œil égaré interrogea la route : on n’y voyait plus rien.

À droite, Ernauton avait disparu, se portant sans doute en avant ; au fond, son propre cheval avait disparu également.

Tandis que Sainte-Maline roulait dans son esprit exaspéré mille pensées sinistres contre les autres et contre lui-même, le galop d’un cheval retentit à son oreille, et il vit déboucher de cette route de droite, choisie par Ernauton, un cheval et un cavalier.

Ce cavalier tenait un autre cheval en main.

C’était le résultat de la course de M. de Carmainges : il avait coupé vers la droite, sachant bien que, poursuivre un cheval, c’était doubler son activité par la peur.